Personne n'a encore gagné une élection en promettant des actions qui vont nuire à son propre pays, mais qui feront avancer l'Europe. La stratégie industrielle et monetaire, dont j'ai parlé il y a deux ou trois jours, suit bien cette logique. Le flux de capitaux des pays de l'Eurozone vers l'Allemagne, et le flux correspondant de Mercedes, de Cayenne et d'Audi TT vers les pays qui s'endettent petit à petit aboutissent à cette situation où vous avez Dr. Merkel qui donne des leçons de compétitivité, alors que le fameux modèle allemand ne fonctionne plus si tous les pays de l'Europe font des excédents commerciaux. Le reste de l'Europe a deséspérement besoin d'un grand relâchement monétaire, une petite dévaluation de l'Euro (qui ferait bien plus pour la compétitivité que des bricolages avec la TVA), une dose d'inflation qui rendrait plus digérables les dettes ex-souveraines. L'Allemagne n'en a pas besoin, car elle bénéficie d'un influx permanent de liquidités, nos liquidités, celles de ces pays qui s'endettent pour, en autres, pouvoir acheter du Made in Germany. (Car les pays frappés par la crise, les PIIGS, sont surtout ceux qui ont les plus gros déficits commerciaux.)
Riche grâce à ce succès industriel (et d'autres avantages, liés justement à l'Euro : les déficits chez les grecs, les espagnols et les autres écartent tout risque que la monnaie allemande s'envole ; voir l'explication ici), l'Allemagne ne voit pas pourquoi on toucherait à un modèle qui marche si bien pour elle.
Jusqu'au jour où, à force d'exiger l'austérité chez les uns et les autres, les pays trop dépensiers de l'Eurozone arrêtent de dépenser. Et soudain, le modèle allemand commence à tousser. L'Europe entre en récession ; les riches et vertueux Pays-Bas (l'Allemagne est déficitaire vis-à-vis d'eux !) entrent en récession. Et la croissance de la puissante Allemagne, de la compétitive Allemagne, descend au même niveau que l'infréquentable France : 0,2 %.
Les expériences récentes l'ont montré : plutôt que de relancer les économies "asphyxiées par la dette", les cures d'austérité font exploser les déficits tout en freinant l'économie. Et l'Allemagne est sur le point de découvrir ce qu'est la vie sans ses frivoles voisins si gourmands en BMW.
Faute à l'Europe, donc, comme d'habitude ? Non, à mon avis. Merkel, Sarkozy, Draghi, et même Hollande (mais avec des bémols et des notes de bas page) sont convaincus que si l'austérité ne marche pas, c'est qu'il en faut encore davantage. Le vrai problème (et peut-être la solution) est, semble-t-il, dans l'usage que fait l'Allemagne de l'Europe. Si l'Union monétaire et le Marché unique étaient, respectivement, vraiment une Union et vraiment unique, l'enrichissement ne serait pas forcément à sens unique. À ce titre, on cite assez souvent les états des Etats-Unis. La Californie peut être excédentaire vis-à-vis de l'Alabama sans que cela conduise la Californie à exiger l'austérité pour l'Alabama, et sans que l'Alabama soit menacé de faillite. La dette existe à un niveau supérieur et profite à tout le monde. Oui, je pense aux eurobonds ou aux euro-obligations, mais plus généralement à l'idée que la structure même de l'Europe et de l'Euro ne devrait pas empêcher une politique de relance.
Le problème européen serait alors une intégration insuffisante, où chaque pays ne voit en l'Europe que l'occasion de retirer un avantage financier ou électoral bien précis.