Salvatore Adamo

Par Gjouin @GilbertJouin

La Grande RouePolydor/Universal
Cinquante de carrière et toujours la même fraîcheur, la même envie, la même créativité. Seule l’écriture n’est plus la même car, au fil du temps, elle n’a jamais cessé de s’améliorer encore, de devenir à la fois plus réaliste et plus poétique. Normal. En prenant de l’âge, le regard, s’attardant moins sur le nombril, prend plus d’acuité. Tout doucement, Salvatore Adamo s’est érigé en témoin de son temps. En prenant de l’âge, il a pu dire des choses plus engagées. En prenant de l’âge, on est plus écouté.
Prendre de l’âge… C’est La Grande Roue de la Vie qui a tourné. On y est monté plein de rêves et d’insouciance, avec l’envie de bouffer le monde, et si possible de le refaire. ET La Grande Roue a continué de tourner, emplissant ses nacelles de tout ce qu’une existence récolte : joies, bonheur, amours, amitiés, rencontres, chagrins, révoltes, résignation, peurs… Tout s’y mélange. Et, à un moment, justement quand on a pris de l’âge, il est temps de faire le tri et de dresser son bilan…Salvatore en est là. Quand La Grande Roue était dans son ellipse ascendante, il était plein d’espoir et d’amour, quand il arrivait à son point culminant, il en profitait pour explorer l’horizon et voir ce qui se passait un peu partout dans le monde, quand elle entamait sa descente, il croisait le chagrin, l’injustice, les déceptions… Et puis ça repartait pour un tour. Et plus le nombre de tours grandissait, plus il s’enrichissait, plus il s’intéressait à l’humanité, plus il devenait altruiste et tolérant, mais aussi indigné et dénonciateur.
La Grande Roue, le 23è album studio de Salvatore Adamo, résume en douze titres ce que sa nacelle a ramassé après soixante-neuf révolutions.
1/ La Grande RoueChanson pleine d’esprit, dans une ambiance de fête foraine avec fanfare et flonflons. Le message qu’elle contient est fort ; l’homme, qui a tout reçu pour construire son bonheur, gâche systématiquement tout pour des raisons égocentriques, religieuses, économiques. Une terrible gabegie.
2/ Tous mes âgesD’abord piano-voix, cette chanson reçoit le renfort d’un violoncelle pour en souligner l’aspect temporalo-nostalgique. C’est encore la fameuse Grande Roue qui tourne. Le ton est très positif. L’âge n’a finalement que peu d’importance quand on nourrit toujours en soi une même fringale de vie, quand on ne sait toujours pas « quel chemin prendre », quand on a encore le goût des « bêtises » et la faculté de s’émerveiller.
3/ Cher amourUn superbe poème magnifié par la présence majestueuse des cordes. C’est plein de tendresse et d’abandon. La façon quasi religieuse de chanter « ô cher amour » au début du refrain exprime l’immense élévation spirituelle que provoque le plus noble et le plus fort des sentiments. Magnifique cantique païen.
4/ La fêteJolie ritournelle légère et entraînante, pleine de vie et d’insouciance qui, en quelque sorte, développe et complète Cher amour en l’amenant de l’abstrait aux choses concrètes.
5/ Je vous parle d’un amiAdmirable ode à l’amitié. Elle résume tout ce que l’on peut attendre et recevoir d’un Ami.
6/ L’homme tristeLa musique, très mélodieuse, habille avec finesse le climat nostalgique de cette chanson qui nous fait traverser une partie de l’histoire de l’Humanité. Salvatore y souligne l’importance du rêve comme carburant pour faire tourner le moteur même s’il est coupé avec pas mal d’utopie avec, en toile de fond, notre éternelle quête du bonheur.
7/ De belles personnesPetites chroniques du quotidien. Le texte fourmille d’images et de descriptions. Le ton est volontairement badin et teinté d’ironie pour dénoncer l’intrusion de la machine au détriment de l’humain. Il n’y a en tout cas là-dedans aucun angélisme. Ce sont Les temps modernes de Chaplin remis au goût du jour.
8/ RicordiSalvatore chante ses racines en italien. Un retour aux sources siciliennes joliment empreint d’une douce et tendre nostalgie.
9/ Ton infiniQuel poème ! Cette chanson est un hommage à la moitié d’orange à laquelle on rêve tous. C’est la quête amoureuse, la recherche d’« infini » et d’« absolu », mais aussi de plaisirs plus physiques que métaphysiques, d’où l’évocation subtile de la « naissance du monde », clin d’œil malicieux au célèbre tableau de Gustave Courbet. L’éternel féminin est traité d’une écriture élégante et sublimé par des cordes altières et éthérées. Finalement, c’est une histoire de belles âmes : celles des femmes et celles des violons.
10/ Le souvenir du bonheurUne fois encore la plume de Salvatore est à son meilleur. Le liquide de son encrier est composé d’un cocktail d’attention portée à l’autre, de bienveillance, de générosité, d’admiration… D’amour quoi ! Il garde au cœur un soleil intérieur qui lui tient chaud en dépit de quelques brûlures inévitables.
11/ Alan et la pommeComme dans De belles personnes, Salvatore se fait chroniqueur pour, en s’inspirant d’une histoire vraie, évoquer la difficulté à vivre son homosexualité. Comme pour Eve, le geste de croquer la pomme va être fatal. Sauf que, dans le cas d’Alan, l’abandon du « paradis » terrestre est désiré, voulu, assumé. Les serpents qui sifflaient leur haine autour de lui étaient bien trop nombreux et hostiles… J’ai bien aimé cette idée de la première ligne du refrain en anglais.
12/ Golden YearsCette chanson m’a fait sourire et m’a rajeuni en raison de son ambiance résolument Années 60 faisant la part belle au piano et à la guitare. Salvatore y dresse en anglais le bilan d’une vie à deux. La conclusion est digne d’un enfant du baby boom : il faut toute une vie pour apprendre à être jeune et, surtout quand on avance en âge, savoir pimenter son quotidien. C’est aussi une chanson sur la transmission. Très agréable à écouter.
Personnellement, mes deux chansons préférées – mais je les aime vraiment toutes pour de multiples raisons – celles que je trouve les plus efficaces, tant pour ce qu’elles racontent et pour leur mélodie, sont La Grande Roue et Le souvenir du bonheur.