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La quantification environnementale s’est développée depuis quelques décennies autour de trois composantes principales. 1) Identifier et mesurer les impacts liés à la vie d’un objet d’étude (habituellement un produit, un site ou une activité). 2) Réduire ces impacts. 3) Les faire connaître en communiquant sur les efforts de réduction (via par exemple un affichage environnemental).
Nous postulons ici que cette approche purement quantitative de l’environnement est dangereuse, et qu’il convient de la remettre au plus vite à sa juste place : un (simple) élément de décision parmi d’autres !
Des maths, toujours des maths
La démarche de quantification environnementale s’appuie sur des modèles mathématiques, sur des règles issues de convention et sur des études bibliographiques empiriques. Le propre d’un modèle étant de n’être qu’une reproduction approximative du réel, on saisit alors que la quantification environnementale s’apparente en grande partie à une simplification du réel par le biais de l’outil mathématique. Il en est ainsi des « facteurs de caractérisation », coefficients utilisés dans le cadre d’Analyses de Cycle de Vie, qui permettent notamment de transcrire des impacts potentiels sur l’environnement en dommages potentiels sur la biodiversité.
Comme le cours de bourse d’une société cotée est censé refléter unanimement sa santé financière et sa capacité à générer du cash-flow, le rôle de la mathématisation dans le cadre de la quantification environnementale est de faire émerger un dénominateur commun compréhensible par tous, et ainsi d’atteindre l’objectivisation d’une réalité par le chiffre. Autrement dit, la mesure de l’impact environnemental se veut univoque.
L’environnement, une réalité complexe
Or il s’agit de comprendre que la gestion de l’environnement est avant tout une question d’arbitrages, de choix (souvent autant politiques que scientifiques) et de systèmes de valeur. L’usage des objets, le recours aux transports, le rapport au matériel, la vie en société, la solidarité, la propriété et l’égoïsme. Autant d’éléments « mous », qui échappent fréquemment à tout principe dur de quantification. L’intention d’objectivisation par le chiffre apparait alors comme une chimère servant à soulager notre mauvaise conscience en réduisant le débat environnemental à une question de + et de -, en éludant des réflexions toute la question du choix, du comportement et de la responsabilité individuelle et collective.
Il n’y a pas, de manière systémique, de quelconque automatisation à espérer d’une gestion de l’environnement sans une disparition pure et simple du libre arbitre humain, ou du moins sans un asservissement progressif de la liberté humaine. Ici par une vente de son substrat de culture qu’est la nature (quotas et marchandisation de l’environnement), ou encore là par une extrême réglementation de son existence (droits à polluer, à respirer ?). A quand le monde du Bilan Carbone® intégral dans lequel une armée d’experts-consultants viendrait prêcher la bonne parole de l’arithmétique environnementale et régler le moindre repli de nos vies ?
Aussi, de même que les 30 dernières années de latente crise du modèle économique occidental ont montré que l’homo œconomicus transparent et rationnel fantasmé par les libéraux n’existe pas, il faudra un jour saisir que l’environnement ne peut se résumer à une réalité purement objective et transparente. Et que vouloir en faire ainsi revient à nier la capacité de choix de l’Homme lui-même.
Epilogue : le chiffre, nouveau credo de l’environnementalisme ?
Dès lors, une fois que le tableau de la quantification environnementale a été largement noirci, que peut-on encore espérer en la matière ? Au moins une chose.
Si nous avons tenté de montrer les limites de l’approche quantitative de l’environnement, nous ne souhaitons pas dire qu’elle est intrinsèquement vaine, mais seulement qu’elle ne peut constituer l’unique critère d’arbitrage en matière environnementale. L’approche quantitative ne doit être qu’une brique d’un mur d’analyse plus complet, reposant à la fois sur des sciences dures et des sciences et pratiques molles, telles que la sociologie, l’anthropologie ou encore l’urbanisme. Il ne s’agit donc pas tant de condamner l’approche quantitative de l’environnement que de la remettre à sa juste place : un élément d’analyse, imparfait car modélisé, parmi d’autres. La quantification environnementale doit rester un élément de la solution, elle ne doit pas être considérée comme la solution.
En définitive, le propos est ici de se demander s’il est véritablement pertinent de faire avec la quantification environnementale ce que nous avons fait depuis 50 ans avec l’indicateur de croissance économique comme reflet du bien-être des populations ou avec le taux de ROI comme seul juge de l’intérêt d’un projet économique. L’enjeu est autrement dit de savoir si nous acceptons que l’approche quantitative devienne le nouveau credo de la religion environnementaliste, de même qu’elle s’est imposée comme fondement de la religion économiste, avec les limites auxquelles nous assistons quotidiennement.