L’histoire suivante est rapportée par rue 89. Des personnes utilisent les sites de co-voiturage pour
recruter des clients “longue distance” pour effectuer des trajets tels
que Paris Lille (18 Euros) ou Paris Bruxelles (25 Euros), soit à peu
près le même prix que ce que le client aurait payé en partageant en 2 la
facture d’un co-voitureur “non commercial”. L’article évoque 120 Euros
de marge brute par trajet, mon calcul m’en donne plutôt 100. “Momo”, le
chauffeur interviewé par le magazine est vigile de nuit en semaine et
arrondit ses fins de mois en convoyant des passagers occasionnels le
week end.
La mentalité française contre les entrepreneurs
L’article
de rue 89, en bonne publication française, insiste bien sur le
caractère illégal de l’aventure, sur ce que risquent (je cite) les
“magouilleurs” qui font le “taxi clandestin”, et que “le fait de faire
payer des gens pour les transporter nécessite
une licence de transport ou une carte professionnelle de tourisme”. Il
nous informe que le site leader de mise en relation de covoitureurs
(covoiturage.fr) lutte plutôt mollement contre “cette fraude”. Bref,
pour Rue 89, ce que fait Momo, c’est mal. Pas question de s’interroger
sur les implications économiques de l’existence de telles activités, ni
sur la caractère totalement volontaire des échanges ainsi conclus.
Pourtant,
le petit business de Momo et de tous ceux qui améliorent leur revenu de la
même façon, devrait d’abord être une belle histoire d’entrepreneurs dont
on célèbrerait la débrouillardise, et non le prétexte à dénoncer
d’infâmes travailleurs au noir.
Une demande réelle en attente d’une offre légale
Ce système de covoiturage par camionnette ou voiture de grande contenance existe dans de nombreux pays, et est connu dans les DOM-TOM sous le nom de Taxi-Brousse. Le business de tous les Momo de France prouve qu’il existe une demande pour des lignes de transport plus ou moins régulières et low-cost entre agglomérations, moins confortables ou rapides qu’un TGV mais bien moins coûteuses.
Or, malgré un récent léger assouplissement des lois de 1934 qui interdisent à des transports routiers de concurrencer la SNCF... Sans l’accord de cette dernière, la création de telles entreprises de transports n’est pas libre en France. Tout au plus le grand groupe Cariste Eurolines vient d’être autorisé à exploiter des lignes “transfrontalières” mais pouvant embarquer ou débarquer des passagers entre deux points en France. Mais là encore, cette ouverture de ligne a du faire l’objet d’une licence concédée à contrecoeur par l’état, et contre un lobbying intense de la SNCF, qui, finalement, va utiliser sa filiale de droit privé Keolis pour préparer un projet concurrent (on suppose qu’ils n’auront pas de problème pour obtenir l’autorisation !). D’ailleurs, la SNCF fait aujourd’hui rouler plus de bus régionaux que de trains, les bus étant nettement plus flexibles et rentables.
Vous me direz que si, “au black”, Momo ne descend pas au dessous du prix de covoiturage, son activité ne serait plus rentable s’il devait payer toutes les charges afférentes. C’est oublier que si l’activité était libre, le service rendu par Momo ne le serait pas quasi clandestinement sous pseudonyme sur des sites de covoiturages, mais “en clair”, avec une bonne information des usagers pouvant faire jouer la concurrence et réduire le bénéfice de notre “Momo” à 60 ou 80 Euros par trajet. Mais surtout, si la demande le justifiait, d’autres Momos pourraient affréter des cars de taille variable, et de confort divers, permettant d’embarquer plus de 8 passagers, abaissant le coût unitaire du voyage.
En Grande Bretagne, ou le transport inter-urbain par bus est libre, traverser l’Angleterre pour un coût raisonnable, par des lignes de bus confortables, est tout à fait possible, et un Londres Paris par Megabus coûte 15£ (#19€) en période normale. Aux USA, Megabus, BoltBus et d’autres transporteurs privés effectuent plus de 50% de Km x passagers de plus que l’équivalent local de la SNCF (public et aussi mal géré), Amtrack, dans le “corridor nord est” des USA, Washington-NewYork-Boston.
Pas que l’interurbain !
Mais pourquoi se limiter au transport Inter-urbain ? L’intra-urbain aurait également tout à gagner d’une telle libéralisation du droit d’offrir ses services de transports.
Regardons outre atlantique ce pays que d’aucuns croient “ultra libéral”, les USA. Là bas aussi, les services de “dollar van” ou de “jitneys” (l’équivalent du taxi brousse) sont sévèrement réglementés, voire illégaux. Cela date des années 50-60, où les grandes villes ont préféré étatiser leurs compagnies de transport en faillite plutôt que de les restructurer. Pour ne pas creuser un peu plus le déficit public, nombre de villes ont décidé de limiter ou d’interdire la concurrence du transport privé. Le résultat: mis à part New York, Chicgo et Boston, la part de marché des transports en commun publics des villes US reste faible (nettement inférieure à 10%) et affiche un déclin régulier.
Pourtant, à New York, suite à une “semi légalisation” des Dollar Vans
sous l’action d’associations libertariennes, dans les années 90, les
minibus privés emploient 850 chauffeurs et transportent jusqu’à 120 000
passagers par jour, sont rentables, comblent les insuffisances du
transport public... Mais sont persécutés par la mairie car ils font du
“hélage”, alors qu’ils devraient se cantonner au transport sur appel,
selon les termes de leur licence... quand ils font l’effort de
l’obtenir. Mais qu’importe: les 120 000 personnes qui bénéficient du
services, apparemment, ne s’en portent pas plus mal.
Houston,
au Texas, a légalisé les Jitneys en 1994. Aujourd’hui, ces véhicules
de 4 à 15 places se spécialisent surtout dans les trajets de périphérie à
périphérie, ou dans la desserte des “points chauds” nocturnes, là où
les lignes régulières ne peuvent pas être concurrentielles.
D’autres formes de transport privé apparaissent: ainsi, 6 géants de l’informatique, dont Apple et Google à San Francisco et Microsoft à Seattle, ont développé leur propre service de busing
à destination de leurs employés, totalement insatisfaits des services
de transport centraux incapables de desservir convenablement des
“banlieues” comme Redmond, Cupertino ou San Jose.
Bref,
il y a beaucoup de place dans les villes d’aujourd’hui pour du
transport collectif privé par bus de toutes tailles, pour peu que les
autorités laissent les initiative éclore.
Libérons l’offre de transports collectifs !
En
France, trois lobbies très puissants s’opposeraient à une telle
ouverture à la concurrence du transport. D’une part les régies publiques
de transport, qui, aujourd’hui, ne tirent que 20% de leurs revenus de
la billetterie (en province, 40% à Paris), et le reste de taxes (le 1%
transport des “cotisations patronales”) et de subventions. Ensuite, les
gros opérateurs privés de transports qui obtiennent des contrats de
sous-traitance auprès des municipalités, mais qui prennent bien soin
d’en conserver le caractère monopolistique. Enfin, les Taxis*, qui
vivent fort bien du rationnement du nombre de licences mises en
circulation, au point qu’à Paris, la situation de pénurie est devenue
caricaturale, verraient d’un très mauvais oeil une concurrence moins
chère émerger.
Mais
malgré toutes les subventions dont ils disposent, malgré toutes les
avanies que nos élus font subir aux automobilistes, et hormis le cas
très particulier de Paris, les transports collectifs peinent à atteindre
15% de parts de marché dans les aires urbaines de Province (2009**:
Bordeaux, Lille, Toulouse, 9%, Lyon, 15%), Loin derrière la Voiture
(49-64%) et la marche (20-32%). La raison en est simple: les grandes
infrastructures et les gros véhicules de transport public ne peuvent
être gérés avec la même souplesse qu’une flotte de Jitneys. Or, du fait
de l’accroissement de la population urbaine, les villes s’accroissent
par la périphérie, et donc les points d'origines et de destinations des voyageurs se
multiplient: les transports urbains classiques, conçus pour la desserte
des centres denses, ne peuvent s’adapter à cette nouvelle donne. C’est
là que des transports collectifs privés souples peuvent faire la différence.
Tant
que le transport collectif de passagers exigera une licence publique,
laquelle ne sera accordée que de façon arbitraire et sélective par
l’état, ces transports resteront chers (tous coûts confondus), et très
moyennement adaptés à une grande majorité des publics. La libéralisation et l'ouverture à la concurrence de l’offre de taxis, Jitneys, minibus privés pourrait grandement
contribuer à améliorer l’offre de transports disponibles, réduire la
congestion globale des infrastructures de transports, y compris des
transports en commun publics aux heures de pointe, tout en créant des
opportunités d’emplois nouvelles.
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Notes
*
Hors du champ de cet article, il existe des moyens de “racheter les
plaques” des chauffeurs de taxis sans que l’état ne décaisse un centime.
J’y reviendrai un autre jour.
** Source “Enquête déplacements ménages 2009 de la communauté urbaine de Bordeaux”, PDF
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