Que valent les prévisions budgétaires du gouvernement ? Est-il réaliste d'envisager un retournement de la courbe de la dette en 2014, comme l'affirme le ministre des finances ? Une tribune initialement publiée par Atlantico
Le ministre des Finances Pierre Moscovici vient
d’annoncer qu’il espérait “inverser la courbe de la dette”,
c’est-à-dire réduire le ratio dette/PIB, dès 2014, et que l’économie
française dégage 0,8% de croissance dès 2013. On est en droit de se demander si ces espoirs reposent sur autre chose que la méthode Coué.
Le FMI*, dont les dernières prévisions d’octobre, à défaut d’être toujours exactes, sont généralement moins fantaisistes, anticipe quant à lui que la croissance française n’atteindra que 0.4% en 2013 et 1.1% en 2014. Dans ces conditions, la dette brute (le seul chiffre qui compte vraiment, celui de la dette dont il faut servir l’intérêt) de l’État français progresserait encore de 92 à 92.9% la même année. Stabiliser la dette à 92%, sans même parler de la réduire, nécessiterait 19 milliards d’euros d’effort budgétaire supplémentaires. Or, rien dans les annonces du gouvernement, ne permet d’entrevoir les réformes d’une telle importance.
évolution de la dette publique française brute, %PIB
Pire encore, il est probable que les prévisions du FMI, malgré leur pâleur, soient encore optimistes. Car le gouvernement a choisi d’augmenter le coût du capital investi en France, au nom d’une prétendue justice fiscale, qui aura surtout pour effet de poursuivre la hausse du chômage hors de contrôle que nous connaissons. De fait, nos entreprises sont à la peine pour maintenir un appareil productif capable de rémunérer notre coût du travail, comme en témoigne la Marge Brute d’Autofinancement des entreprises produisant en France passée de 31% du PIB en 1990 à 24% en 2011.
Et, question coût du travail, ce n’est pas le “crédit d’impôt” annoncé, représentant 1% du PIB, étalé sur plusieurs années et perceptible seulement à partir de 2014, qui changera vraiment l’équation financière désastreuse qui frappe nos entreprises, d’autant plus que d’ici là, parions que Bercy s’ingéniera à reprendre d’une main ce que le gouvernement aura donné de l’autre. Dans ces conditions, et alors que nos voisins du Sud voient les difficultés s’accumuler, les raisons de craindre un recul du PIB ne manquent pas, comme en témoignent les indices PMI européens qui sont tous en zone rouge, y compris en Allemagne. Non, on ne voit pas d’où pourrait venir “le retournement de cycle” que notre président semble attendre comme on espère la pluie après une sécheresse.
En revanche, les mauvaises surprises budgétaires ne sont pas à exclure. De nouveaux haircuts sur la dette de la Grèce pourraient se solder par 20 Mds de pertes sur la part française de l’aide consentie à Athènes. Que Mariano Rajoy se décide enfin à faire appel à l’aide du MES - Et comment pourrait-il l’éviter ?- et un appel de fonds aux États contributeurs alourdira nos dépenses de quelques dizaines de milliards de plus. Que les 90 milliards d’actifs douteux de Dexia accusent de nouvelles dépréciations, et la “recapitalisation” excèdera les 5 Mds que le gouvernement vient de concéder. Les déficits sociaux ? On voit mal quelle réforme pourrait en enrayer la hausse, alors que le gouvernement s’est empressé de revenir sur la pourtant bien timide réforme des retraites du quinquennat précédent.
Osons ce pronostic noir: non seulement la courbe de la dette ne s’inversera pas, mais sa pente ne s’infléchira pas, en tout cas pas dans le bon sens. Ajoutons à cela que le décollage des pays émergents, et des opportunités de bons placements qui s’y développent, rend de moins en moins désirables des titres de dette française aux taux historiquement bas, alors que le risque souverain perçu sur notre pays ne pourra qu’augmenter. Que M. Moscovici annonce sous quelques mois que les objectifs de stabilisation de la dette ne pourront être tenus, et les taux d’émissions de la dette française rejoindront, au mieux, leur moyenne historique, sans parler de la réaction probablement négative des agences de notation. L’Agence France Trésor devra lever 170 Mds en 2013, dont 108 de Roll Over de prêts existants et 62 de dette nouvelle... Hors coups durs. Que la perte de confiance dans l’économie française soit plus importante, et que nos taux d’adjudication atteignent ceux de l’Italie ou de l’Espagne (plus de 6% à 10 ans), et ce sera une dizaine de milliards annuels supplémentaires qu’il faudra consacrer au service annuel de nos obligations. Qui s’accumuleraient chaque année. Qu’il faudrait déduire des autres dépenses de l’état pour espérer rétablir l’équilibre de nos dépenses publiques, conformément aux engagements pris en votant le TCE.
Que faire ? Un tel rétablissement des comptes publics est inenvisageable hors de réformes d’un tout autre calibre que celles menées jusqu’ici, tous gouvernements confondus. Fiscalité, Code du travail, arrêt des cautions apportées aux canards boiteux de l’Europe ou du soutien aux entreprises non rentables, véritable réforme des faillites bancaires sans intervention des contribuables, privatisations massives, y compris en matière de protection sociale, fin des professions protégées, réduction drastique de l’économie subventionnée... Mais un gouvernement de gauche encore très idéologique peut il porter de telles révolutions auprès de sa majorité ou de son électorat ?
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Note : * Source: World economic outlook database, octobre 2012
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Lire également :
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- L'explosion de nos dépenses publiques nous emmène droit dans le mur (écrit en 2004)
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