Comme le dit le dicton sud-coréen, en avril, « passe ton temps à célébrer les cerisiers en fleur et pense à fertiliser ton jasmin si tu ne veux pas le voir crever en mai ou voir les chinois débarquer à Séoul». Après trois années passées à bloguer, voici déjà un an que nous avons acquis notre appartement à deux pas du canal Saint-Martin. La peur irrationnelle de nous retrouver à la rue m’avait alors poussée à forcer Snooze à acheter un appartement coute que coute. Quinze jours après avoir contacté une agence et visité seulement deux appartements, nous signions un compromis de vente. J’avais eu le coup de cœur pour cet appartement et je ne souhaitais pas qu’il nous passe sous le nez. Nous sommes alors entrés dans la spirale anxiogène que chaque propriétaire connait un jour : Peur de quitter son ancien logement, peur de se faire arnaquer par une bande de blaireaux (agence, vendeur,courtier), peur de prendre un crédit sur un nombre indécent d’années, fatigue intense, insomnies, être étouffé par les démarches administratives, devoir penser à tout. Toutes ces petites contrariétés étaient partiellement compensées par l’excitation du déménagement et par la possibilité de recréer un nouveau petit nid douillet rien qu’à nous. Il fallait trouver un entrepreneur sérieux et faire de nombreux devis. Nous savions exactement ce que nous souhaitions et nous laissions deux mois pour tout terminer.
Les deux mois se sont révélés être interminables. Les travaux n’avançaient pas et l’attente est vite devenue insupportable. Deux longs mois nous ont permis de nous poser et de réfléchir. L’affaire était conclue et nous n’avions plus le choix. Snooze, au départ réticent à l’achat, commençait à réaliser qu’il allait se rapprocher du centre parisien et que les fin de semaines allaient être synonyme de fête du slip. De mon côté, je n’arrivais pas à faire le deuil de notre futur ancien appartement. Il commençait à être petit et nous ne pouvions pas l’acquérir. Cependant, je l’avais aménagé à ma façon et il contenait tous mes bons et mauvais souvenirs d’étudiant. Nous jouissions également d’une cour verdoyante que j’avais aménagée au fil des ans. L’été, je pouvais lézarder sur un transat à l’ombre de mon cerisier. Cet espace représentait une pièce supplémentaire. Quitter le boulevard de Picpus allait également nous éloigner de mon amie Céciloo, de Jean-Guimauve, de Lou, de la sœur de Snooze et de son chéri qui habitaient le même immeuble et l’immeuble voisin. Nous vivions en ashram depuis de nombreuses années et l’isolement allait certainement me peser.
Vint alors le jour du déménagement. Madame Lopes tirait la gueule car nous salopions son escalier. Nous nous sommes séparés. Snooze est parti avec les camions et je suis resté seul dans l’appartement vide pour tout nettoyer. J’ai rejoint quelques heures plus tard la fine équipe de déménageurs aux gueules de taulards. Ils venaient de se taper trois étages avec le réfrigérateur américain, le reste du gros électroménager, le lit, le canapé et les armoires. La haine pouvait se lire dans leurs yeux rouges, la fatigue aussi. L’appartement était un véritable capharnaüm. La cuisine n’était toujours pas installée, cent cinquante cartons étaient maladroitement répartis dans toutes les pièces, certains meubles se trouvaient à la mauvaise place, et nous ne savions pas faire fonctionner notre putain de chaudière de merde. Une partie du canapé était accessible. Nono est passé nous voir le soir même pour une mini-pendaison de crémaillère à trois. Nous tournions une page et étions installés en plein cœur du dixième arrondissement entre le canal et la place de la République. Trop d’la balle.
Le temps s’est depuis accéléré. Je ne vois pas les jours passer. Je ne me sens pas chez moi dans ce quartier que je n’aime pas et j’ai commencé à oublier le boulevard de Picpus. Je vis donc dans une sorte de purgatoire immobilier, sans véritablement apprécier mon nouveau lieu de résidence. Le secteur est catégorisé bobo. Dieu qu’il est charmant et romantique de voir des gens crever de faim entre deux boutiques Agnès b. J’ai l’impression d’étouffer. Les rues sont plus étroites et plus sombres, les trottoirs sont dégueulasses et la plupart des habitants semble triste. Je tente cependant de me recréer un monde à moi. Je commence à avoir mes habitudes et je reprends plaisir à courir autour du Canal en remontant jusqu’à la Villette. Ce nouveau lieu de résidence me permet également de gagner du temps pour me rendre au travail. Moins d’une demi-heure en vélo et me voici dorénavant rendu au bureau, évitant ainsi cette fichue ligne 13.
Côté immeuble, rien à voir avec le précédent. L’assemblée de copropriétaires hystériques avait donné le la. Nous avions l’habitude de tous nous connaitre et être solidaires. Ici, c’est le « demerden sie sich ». Un simple bonjour ou sourire semble arracher la gueule de notre voisin de palier, les propriétaires du premier sont deux baba cools sous acide qui laissent hurler en permanence leurs trois enfants hyperactifs à la mort (quelqu’un connait-il le numéro de la DDASS ?), la vieille bourgeoise du quatrième est effrayée pas les pédés, la morue du deuxième passe son temps à nous enfumer avec ses clopes de merde, sans compter sur le connard de la cour qui a fait une OPA sur mes arbres rescapés de notre ancienne cour, ni sur le parking sauvage des voitures qui bloquent en permanence l’accès à la porte cochère ou sur les poubelles qui sont continuellement vidées et décortiquées sur le trottoir. J’en suis même réduit à pisser sur les bagnoles, vider la caisse du chat ou faire du lancer de mozzarella pourrie pour me détendre les chakras.
Seul point positif. Nous n’avons toujours pas fait faillite et il nous avons gagné un an de crédit.
Ah oui aussi, le type qui vit au quatrième étage de l’immeuble d’en face est une bombasse.