Une remarquable expo présentée par le Musée Würth Erstein : "Flagrants Délits" nous fait découvrir une artiste contemproraine Xenia HAUSNER
Xénia Hausner : flagrant délit, d’initié.
Pour sa huitième exposition, le Musée Würth à Erstein nous présente une artiste autrichienne peu connue en France : Xenia Hausner. L’exposition, baptisée « Flagrant délit », du titre de l’un des tableaux, est riche de quelques trente-six œuvres de grand format complétées par vingt-deux photographies permettant de les appréhender sous un autre angle. On est frappé d’emblée par la richesse de la palette de l’artiste, l’expressivité des sujets, mais très vite le regard explore et la deuxième lecture suggère le questionnement. La peinture de Xenia Hausner intrigue et on est vite pris dans un jeu permanent de construction et de déconstruction du sens.
« Flagrant délit » constitue la première exposition monographique de l’artiste en France. Les œuvres exposées sont issues de la fondation Würth et de collections privées. Xenia Hausner, née en 1951, vit entre Vienne et Berlin. Fille de Rudolf Hausner, l’une des figures de proue du réalisme fantastique et de l’école de Vienne, elle consacre d’abord vingt ans de sa vie à la mise en scène au théâtre. Elle garde de cette période le goût de l’organisation de l’espace et du placement des éléments les uns par rapport aux autres. La peinture occupe sa vie à partir de 1992, mais il faudra attendre 1996, un an après la mort de son père, pour assister à sa première exposition.
Xenia Hausner travaille à l’acrylique sur divers supports (papier, isorel, plaques d’aluminium), utilise fréquemment la photographie (argentique et numérique), y ajoute des éléments de bois et de papier, les combinant en technique mixte. Les formats de grande taille sont accrochés bas, de manière à ce que les spectateurs se trouvent en vis-à-vis des personnages des tableaux, en dialogue avec eux. A l’étage, l’un des salles présente « Damage » un ensemble d’œuvres présentées en 2011 à l’Art Museum de Shanghai. Souvent le tableau dépasse du cadre de départ fixé par l’artiste qui en repousse ainsi les limites au gré de ses besoins. Pour elle, chaque œuvre est une aventure dont elle ne sait jamais à-priori exactement où elle va la mener.
Le travail de Xenia Hausner s’organise en trois temps. Tout d’abord elle se nourrit d’une foule d’éléments qu’elle amasse au cours de ses voyages et de ses rencontres : photographies, objets divers, échanges et souvenirs. Le deuxième temps est celui de l’atelier où elle photographie ses modèles, essentiellement des femmes, en leur demandant de prendre des poses précises et d’intégrer un décor organisé dans une véritable scénographie. Ces photographies servent ensuite de modèles partiels pour la peinture ou constituent en eux-mêmes des supports qu’elle retravaille à la couleur. Au cours de la mise en place du tableau il lui arrive de mélanger des éléments issus de plusieurs photographies. Certains éléments sont récurrents et reviennent dans plusieurs œuvres. La démarche d’assemblage suit un processus de construction-déconstruction-reconstruction qui, à travers ces mélanges, brouille les pistes et construit du sens à plusieurs niveaux. Elle intègre souvent dans son travail des citations d’autres artistes. On découvre ainsi des références explicites à Franz West (« Aluskulpture »), Jeff Koons (« One Ball Total Equilibrium Tank »), Damien Hirst (« Spot Painting »), Richard Artschwager (« Point d’Exclamation ») ou encore d’autres, plus diffuses. Pour compléter la complexité de la lecture, les titres ne constituent jamais une description ni une illustration de l’œuvre, mais un indice déroutant supplémentaire, relation biaisée ou clin d’œil humoristique, titre de film, d’émission télévisée ou d’air de musique, évènement social : « Rosemaries Baby », « Barcarole », « Hôtel Shanghai », « Nine Eleven », « Blind Date ». L’artiste ne donne pas de clé de lecture, c’est au spectateur d’imaginer et de concevoir la sienne.
Nous sommes face à des portraits, dans des représentations qui s’affranchissent de la couleur et de la forme. La palette a la richesse des tableaux des fauves et l’observation souligne continuellement le décalage de la couleur avec le réel. Les tons sont contrastés, la couleur a parfois un aspect passé puis devient saturée. C’est un régal pour les yeux. Le trait est tantôt puissant, tantôt précis. La retouche sur la photographie est réalisée avec une finesse qui la rend parfois difficile à déceler.
Deux tableaux sont en relation directe avec la mort de son père : « Voyage d’Hiver » et « Mort dans l’Amour ». Cependant, là aussi, elle a demandé à des acteurs de jouer les rôles des personnages. L’organisation de l’espace et des meubles est pensée comme une véritable mise en scène. Il ne s’agit donc pas d’une copie du réel mais d’une reconstruction à partir d’un évènement, rejoué et réorganisé par l’artiste. Même s’il s’agit là d’un évènement personnel, elle ne lui donne pas pour autant une dimension autobiographique.
Dans chaque tableau on retrouve deux ou trois femmes, rarement un homme. Xenia Hausner exprime une ambivalence permanente liée aux ambiances qu’elle créé, aux relations qu’elle sous-entend entre les personnages, aux tensions et fils invisibles qui les lient et les attachent, même si on est ici en dehors du champ du récit. La plupart de ces personnages nous regardent de leurs yeux sans pupilles. Leurs visages ne sont jamais neutres mais puissamment expressifs. Ces regards nous interpellent et nous placent dans une situation qui fait glisser notre statut de spectateur à celui de voyeur. Il se dégage de l’ensemble un érotisme homosexuel qui affleure en permanence, souvent suggéré mais exprimé une seule fois dans « Fièvre ».
Elle se sert de la mise en abîme comme d’un artifice de dialogue. Dans « You and I », le spectateur regarde un tableau qui a été conçu à partir d’une photographie : son regard devient celui de l’artiste. Ce tableau représente une femme de face qui en filme une autre. Le va-et-vient est constant entre photographe et photographié, le spectateur passant d’un rôle à l’autre comme s’il était face à un miroir.
Deux ensembles de photographies, essentiellement en noir et blanc, montrent les modèles à l’atelier et permettent de suivre le cheminement créatif jusqu’au tableau. On y reconnaît tel sujet, telle pose ou élément de décor. Du coup, elle ajoute une couche supplémentaire à l’empilement des sens.
Xenia Hausner induit en permanence un jeu d’identification dans lequel elle brouille les pistes en mêlant le réel et la fiction, en ajoutant des citations à son travail, en plaçant le spectateur en situation de voyeur-acteur, en tissant subtilement les fils d’une mise en abîme qui nous pousse à décaler nos repères. Au-delà d’un formidable jeu de couleur, de l’expressivité de ses portraits, elle construit les éléments d’une fiction non-narrative dans laquelle chacun peut se projeter. Elle superpose les strates signifiantes tout en les emmêlant, dans une mise en perspective et des rebonds qui rappellent les galeries de glaces renvoyant l’image à l’infini. Jusqu’au vertige. C’est superbe.