Peut-on faire du beau avec du vieux ? Il y a ceux qui
sont sceptiques et ne jurent que par l’originalité de la nouveauté. Moi je
pense qu’il est assez extraordinaire d’arriver à faire une œuvre de qualité
avec de l’ancien. Cela vaut pour à peu près tout. Tout est matière à création,
tout est matière à innovation. C’est exactement ce que j’ai pensé en prenant
entre les mains le livre de Kim Newman,
Anno
Dracula, à qui Bragelonne vient de donner une seconde vie au sein de sa
maison d’édition.
J’en avais entendu du bien, récemment une amie m’avait faire
part dans une liste de ses dix œuvres incontournables dans les littératures de
l’imaginaire, et elle m’avait cité ce titre. J’étais bien-sûr contente lorsque j’ai
pu récupérer le service de presse au début du mois, j’allais donc pouvoir juger
par moi-même de ce roman dont en semble faire grand cas.
Kim Newman est journaliste, critique et scénariste de cinéma
en plus d’être auteur de romans et de travailler pour l’univers de Warhammer.
Il a écrit Anno Dracula en 1992,
première parution en France en 1998, et a été récompensé plusieurs fois de prix
littéraires anglais (Prix Bram Stoker, Prix British Science-fiction, Prix Ozone…).
Bref, un ponte de la littérature fantastique/horreur de ces deux dernières
décennies. Pourtant il n’est plus si connu en France, et Bragelonne nous permet
de redécouvrir cette série phare qui a pour thème…. le vampirisme. « No way ! » Allez-vous
me dire. « Avec Dracula dans le
titre on ne s’en serait pas doutés ! » Oui, oui, bon, racontons un
peu l’histoire. Comment reprendre l’histoire de Dracula alors que Bram Stoker
en a déjà fait un chef-d’œuvre il y a plus de cent ans ?
Anno Dracula prend
place en 1888. A Londres, le Comte
Dracula, Vlad Tepes, a conquis le trône d’Angleterre en soumettant la Reine
Victoria, elle-même devenue vampire. Le Prince consort fait régner un nouvel
ordre, sa garde Karpathe jugule la ville, les vampires sont exposés au grand
jour et tout le monde est libre de « passer au ténèbres ».
Aristocrates, petit peuple et pires fripouilles se laissent aller à cette
nouvelle tendance, celle des non-morts.
Les sang-chauds doivent vivre avec, l’humanité change et elle se nourrit de
sang humain. Mais une suite d’événements violents vient perturber la mise en
place de ce nouveau régime. Un homme assassine des prostituées vampires dans
Whitechapel, et cet homme n’est autre que John (dit Jack) Seward, l’un des soupirants de Lucy,
la première concubine de Dracula lors de son débarquement en Angleterre trois
années plus tôt. Jack est celui qui a du lui ôter la vie définitivement, avant
d’échouer avec ses comparses Jonathan Harker et Van Helsing à sauver Wilhemina
Harker, et à sauver l’Angleterre. Chaque prostituée assassinée avec son scalpel
en argent est un moyen de venger la mort de Lucy. Le reste de Londres est en
ébullition, Scotland Yard peine à trouver le couple, son détective phare est en
prison avec les autres dissidents au nouveau régime, et de fausses pistes
lancées par des tas d’illuminés font barrage à l’enquête. De là plusieurs personnes
se croisent, dont chacune pense pouvoir s'emparer de ces terribles meurtres
pour tirer son épingle du jeu dans le nouvel échiquier politique du pays…
En l’espace d’un résumé j’ai à peine effleuré ce qui fait l’originalité
et tout le sel d’Anno Dracula, son
inspiration de la littérature anglaise fantastique et policière. D’où le
questionnement de mon premier paragraphe. Car Anno Dracula n’est pas seulement une sorte de suite à l’œuvre de
Bram Stoker, mais mêle aussi les romans de Stevenson
(on y croise Docteur Jekyll), H.G. Welles
(le Docteur Moreau), de Conan Doyle
(Sherlock Holmes sans Sherlock), Sheridan Le Fanu (Carmilla), ou encore se moque de l’image des vampires d’Anne Rice. C’est
sans compter les références à des nouvelles ou romans fantastiques anglais
moins connus, à l’univers de Warhammer,
à la cinématographie vampirique du siècle dernier, Nosferatu et autres adaptations,
et sans compter les allusions aux mythes vampiriques bien connus (Vlad Tepes l’empaleur,
Elizabeth Bathory…). Il s’amuse même à mettre en scène Bram Stoker lui-même
(retenu prisonnier aux côtés de Sherlock Holmes) et de sa femme Florence. Et
surtout, il réécrit l’histoire de Jack l’éventreur et réinvente l’Angleterre
victorienne.
Oui Anno Dracula
fourmille de références et s’inspire de toute une mythologie, s’imprègne de
tous les supports pour devenir un roman fantastique ET policier, à l’intrigue
pleine de rebondissements et aux ramifications sans fin. Un personnage en particulier,
le « principal » si l’on peut dire, m’a beaucoup plu. Il s’agit de Charles Beauregard, Gentleman au
service de la reine et d’un club « secret » qui n’est pas sans
rappeler les services secrets anglais de Ian
Flemming. Certainement le seul personnage plus ou moins moral du roman. Son
flegme anglais tranche avec l’Angleterre Victorienne que dépeint Kim Newman,
vraiment sombre et sanglante (en même temps vous allez me dire que l’histoire
de Jack l’éventreur était déjà pas mal sanglante, vous n’avez qu’à imaginer le
stade au-dessus !) et recouverte d’une crasse nouvelle que même le fog londonien
ne peut pas masquer, et qu’a apporté l’avènement du vampirisme. Il a repris les
pires travers de l’histoire de Vlad Tepes dit Vlad l’Empaleur, toutes les
déviances et la cruauté qu’on lui attribuait à lui et ses hommes pour pimenter
le roman. Les scènes en rapport avec les vampires issus du lignage de Dracula
sont assez déplaisantes… Kim Newman imagine que son sang est impur et n'engendre que des
vampires mutilés et/ou mourants.
Bref, pot pourri littéraire et concentrés de mythes
fantastiques, tout ça avait vraiment de quoi me plaire, et ça m’a effectivement
plu…
… mais j’ai été un poil déçue tout de même. Si j’apprécie le
talent de l’auteur et sait reconnaitre un certain génie, j’ai été déçue par son
écriture et sa narration. Il faudrait peut-être que je me penche sur la version
originale pour vérifier la qualité de l’écriture de l’auteur, mais sa plume ne
m’a pas rappelé le phrasé magnifique des auteurs gothiques du XIXème siècle. La
narration alterne en de (trop) courts chapitres entre une dizaine de personnages
qui se croisent tous, et se rejoignent dans un final grandiose, mais cette
façon d’alterner les protagonistes m’a un peu énervé, j’aurais préféré qu’on s’en
tienne à quelques personnages principaux plutôt que de se retrouver parfois
dans la tête de personnages plus que secondaires qui finalement n’apportent pas
grand-chose à l’œuvre (pour ceux qui l’ont lu : Penelope la gourgandine fiancée
de Beauregard, ou Mary Jane Kelly et ses déboires pré-vampiriques…).
Certains me diront que je suis contradictoire, je clame haut
en fort dans d’autres chroniques que j’aime les romans polyphoniques avec de
nombreux personnages qui apportent chacun leur personnalité à l’œuvre… mais là
j’ai trouvé ça mal mené. Et surtout, surtout, je déteste les chapitres qui ne
dépassent jamais plus de cinq pages. Tant qu’à développer des personnages
secondaires et donner la voix à tout le monde, autant y aller à fond dans de
longs et beaux chapitres bien ficelés, plutôt que dans des mini-épisodes constamment
coupés. Et pourtant on sait et on sent que Kim Newman
n’est pas un amateur, et il sait développer une intrigue ! C’est juste une
technique qui cherche certainement à garder un certain suspense ou quelque chose du genre, une technique de narration à laquelle je n’accroche pas.
Mais ce sont mes seuls bémols. Parce que cette intrigue
que tisse Newman est vraiment originale, et il n’a pas du être facile d’y mêler
tous ces personnages. Je me dis qu’il a peut-être mis en place certains de ces
personnages avec dans l’idée de les développer dans la suite de la série et que
je n’ai pas encore lu. Je l’espère, j’espère que ce n’était pas des épisodes
justes inutiles dans la narration.
Bon, j’ai quand même beaucoup aimé la fin, qui ouvre
complètement l’histoire et laisse penser que la suite va être aussi touffue et
extraordinaire que ce premier opus. Je ne peux pas dire avoir été accro au
livre durant ma lecture, je ne l’ai pas lu d’une traite comme j’ai pu le faire
avec certains autres romans fantastiques, mais c’était vraiment une lecture agréable.
De plus, pour ceux qui veulent le lire et s’intéressent au
travail de l’auteur, pour ceux qui après la lecture se posent la question de
quelles sont exactement les inspirations de l’auteur et où a-t-il prit telle ou
telle idée, il y a les appendices. Kim Newman à rajouté- en plus de la postface
et des remerciements habituels - une fin alternative qu’il avait écrite
auparavant, le script du film, un article de l’auteur ainsi qu’une nouvelle.
Cool, non ?
Est-ce moi ou a-t-il un petit air de Vlad Tepes ?
Maintenant ça serait bien sympa, vu que le script est déjà écrit,
de voir le film sur un écran de cinéma ! Après tout, maintenant que Twilight est fini, il nous faut autre
chose à nous mettre sous la dent avec des vampires. Et si ça peut-être de
meilleure qualité, pourquoi pas ! Bon, je dis ça mais on a vu ce que ça
pouvait donner avec Abraham Lincoln,
chasseur de vampires… alors restons tout de même sur nos gardes. Si
Hollywood pouvait rester en dehors de tout ça, et Gary Oldman ainsi qu’une
bonne pincée d’acteurs anglais à l’accent British et un bon réalisateur rosbeef
pouvaient prendre ça en main, ça serait mieux !
Mon arrêt maladie se terminant demain, je retourne donc au
turbin, plus le temps de flemmarder avec le félidé, Noël arrive les amis,
pensez à Anno Dracula =)
Un extrait du film Dracula de Coppola, classique ! C'est juste après ce passage là que Kim Newman imagine l'échec de Van Helsing et sa petite équipée à sauver Mina des griffes du Comte, changeant ainsi le cours de l'histoire :)