« Le quartier sans soleil » de TOKUNAGA Sunao

Par Pierrec

Mon avis :  

TOKUNAGA Sunao

Autour de cette grève naît une solidarité nationale sans précédent. Pour soutenir les grévistes, de l’argent est récolté un peu partout dans le pays et acheminé par des membres des organisations révolutionnaires de Hokkaidô et d’Osaka, tout cela en défiant la surveillance toujours plus accrue de la police. Mais d’un autre côté, et c’est ce qui est le plus pervers, il y a également des chômeurs qui n’hésitent pas à prendre temporairement la place de tous ces grévistes qu’ils ne connaissent pas ou peu.

 Le premier comité exécutif élargi des syndicats révolutionnaires japonais se crée et demande à tous les syndicats de soutenir énergiquement les grévistes de l’imprimerie Daidô et de ne plus jamais laisser le patronat user de pouvoirs usurpés et utilisés depuis trop longtemps.

 Certains de ces grévistes iront très loin et n’hésiteront pas à mettre leur vie en danger afin de se faire entendre par un patronat sourd, une bourgeoisie hermétique à tout changement et par des fonctionnaires beaucoup trop serviles. Au-delà de la lutte ouvrière et de ses combats, TOKUNAGA Sunao nous décrit également un Tokyo grisâtre dont une partie de la population souffre et survit dans un monde terriblement inégalitaire. L’alcool bon marché, la violence et les filles prostituées sont pratiquement tout ce que l’on peut rencontrer dans ces quartiers prolétaires du début du 20e siècle japonais.

 « Le Quartier sans soleil » est avec « Le Bateau-usine » de KOBAYASHI Takiji l’une des deux plus célèbres œuvres de la littérature prolétarienne japonaise. La grande différence entre ces deux romans est que pour KOBAYASHI, l’individu a beaucoup moins d’importance individuellement que collectivement, alors que TOKUNAGA personnifie la lutte en décrivant de plus près les caractères des personnages afin de positionner au centre du mouvement gréviste le lecteur qui risquerait, sans cette méthode, de survoler le sujet principal du roman.

 Il est étonnant de voir, en lisant ce roman, que les choses ont assez peu changé depuis près d’un siècle. Le chapitre consacré au remplacement des ouvriers grévistes par des chômeurs prêts à tout pour nourrir leur famille, même si leur engagement temporaire risque de leur coûter, ressemble tristement à ce que l’on appelle actuellement des délocalisations qui, elles, se font à un niveau international et non plus national. Le but et les résultats sont les mêmes : l’ouvrier est relégué à un statut indéterminé afin de pouvoir accroître ou sauvegarder un capital soumis au bon vouloir des banques et de la mondialisation contemporaine.

 Il peut sembler étrange de publier une telle œuvre en ce début du 21e siècle, mais n’oublions pas que la publication du « Bateau-Usine » de KOBAYASHI Takiji a été très bien accueillie au Japon par une jeunesse atterrée et désemparée par la crise économique persistante que connaît le Japon actuellement. Un coup de chapeau aux Éditions Yago qui osent et prennent des risques afin de faire perdurer une littérature aussi méconnue qu’indispensable.