« "Pour le second, je prévois me faire ramasser, car je sais qu’on m’attend!" lance Lavoie en riant » (Journal Voir, 15 novembre 2012, article de Julie Ledoux).Josée, professeure de littérature au cégep, souffre d'insomnie chronique. Un jour, poussée à bout par l'un de ses élèves, elle décide de s'éloigner quelques jours de son travail. Se rapprocher de sa famille, et notamment de son frère Paul et de son père décédé avec qui elle a cependant de longues discussions, et de ses voisins d'immeuble, dont le petit Joseph, lui permettra de retrouver un semblant d'équilibre, fragile fragile, et lui donnera le courage de se réaliser.
«Les gens qui dorment voient ce problème de façon très simple, ils te donnent plein de conseils, prendre des oméga-3, des tisanes, mais c'est une mécanique particulière du cerveau.» (entrevue avec Chantal Guy, La Presse, 2 novembre 2012)L'une des forces de Marie-Renée Lavoie, originaire de Québec et qui enseigne aujourd'hui la littérature au collège de Maisonneuve, réside dans ses inventions langagières (« un soir de coude léger », p.201, «En fait, je ne dors pas assez depuis trop longtemps pour me permettre une telle promiscuité avec le genre humain, pour endurer le contact avec tous ses tousseurs, renifleurs, ricaneurs, pousseurs, celluleurs, pueurs, qui sont comme autant d'ongles bien aiguisés déchirant l'ardoise de mes nerfs.» p.20), nombreuses, et dans la chaleur humaine qui ressort de son écriture.Ce dernier point était très remarquable dans La petite et le vieux (ça y est, zut, les comparaisons qui commencent!), nous arrachant des larmes, ça reste moins abouti dans Le syndrome de la vis, mais toujours très présent.L'auteure excelle dans ses évocations de l'enfance, sans trop appuyer sur le piton "nostalgie", avec beaucoup de finesse. Tout cela est incarné dans le personnage de Joseph, en particulier.Il n'est pas sans nous rappeler le personnage de la petite Hélène, du roman La petite et le vieux. Comme elle, il distribue les journaux le matin. Comme elle, il s'attache à des adultes. Comme elle, il est un peu différent. Josée représente pour Joseph une sorte de mère de substitution, qui permet à l'auteure d'évoquer le thème du deuil, qu'elle aborde déjà par la relation symbolique entre Josée et le fantôme de son père. De la même manière, les scènes familiales chez son frère, style famille nombreuse, nous font souvent sourire par leur fluidité et leur humour. Le langage, alors plus familier, nous rapproche du monde des enfants.
« Il s'en fout, de savoir que je n'en ai pas plus que lui, des cossins de Star Wars, ça ne change rien au fait que lui, Lui, il n'en a pas. C'est d'ailleurs un regard plein de fatalité qu'il me jette avant d'aller évacuer sa peine sous sa couette à cinq cent dollars, anéanti par la pinjustice sociale [vient de l'expression bien connue : «C'est pinjuste!»] qui le tient bien loin du bonheur que lui procurerait un Darth Vader en plastique avec une épée fluo. » (p.130)Soulignons également les descriptions des lieux, très évocatrices, la ville de Québec ou le fleuve devenant des personnages à part entière sous la plume de Marie-Renée Lavoie.
Quant au principal problème de Josée, l'insomnie, décrit avec beaucoup de réalisme par l'auteure, et pour cause, Marie-Renée Lavoie étant insomniaque elle-même depuis toute petite, il nous apparaît comme sans fin.
« J'ai dans la tête une vis sans fin qui ne me laisse tranquille qu'une fois mes idées, mes peurs, mes souvenirs hachés menu, désubstantialisés par les engrenages qu'elle met en marche. Elle tord mes pensées jusqu'à plus sec, jusqu'à la fragmentation des images qui les constituent en molécules de rien. Je ne peux rien contre elle, c'est mon ennemi intérieur. » (p.15)L'insomnie chronique dont souffre Josée dans le roman l'amène à des situations de fatigue extrême, des absences à répétition, une perte de contrôle totale de sa vie. Tout au long du roman, on la sent qui s'enlise petit à petit dans ce mal qui la ronge et que, surtout, personne ne comprend. De sa relation amoureuse avec Philippe qui se délite rapidement à son incapacité à demander médicaments ou congé maladie à son frère médecin, Josée s'isole dans son mal, et seule sa mère sait comment l'aider un peu, à sa manière.
Le seul moyen de s'en sortir, c'est de transformer cette incapacité à dormir en force créatrice, et c'est ce que Josée parviendra à faire dans un épilogue digne d'un film romantique (mais sans le mariage et les enfants) qui nous rappelle qu'on se trouve dans un roman. Dans la réalité, c'est peut-être un peu plus compliqué.
L'article de Chantal Guy dans La Presse
Lætitia Le Clech
Humeur musicale : Sagot, Piano mal (Simone Records, 2012)