Alors que la "Manif pour tous", s'est déroulée ce samedi contre le projet de loi sur le "mariage pour tous" à l'appel d'une dizaine d'associations hétéroclites qui entendaient lutter "pacifiquement contre l'instauration d'un nouvel ordre sexuel dans notre société, pour le mariage civil homme-femme, pour la filiation père-mère-enfant et contre l'homophobie", plusieurs articles sont revenus sur le sujet: celui de La Croix, d'une part, qui évoquait vendredi l'audition par la commission des lois de l'Assemblée Nationale de "sept psychiatres et psychanalystes dont quatre se sont déclarés favorables au projet de loi du gouvernement, et trois s’y sont vivement opposés", et d'autre part, la tribune publiée dans Libé, par ÉRIC WALTER "Secrétaire général de l'Hadopi, qui s' exprime ici à titre personnel (1)", intitulée "Adoption pour tous : les droits de l’enfant ne sont pas menacés" , qui recentre le propos sur l'adoption, sur laquelle il réassène quelques bonnes vérités... comme "Penser en priorité à l’enfant, c’est porter les efforts sur la rénovation de notre dispositif d’adoption et non sur des débats idéologiques stériles." Rafraichissant et pragmatique!
Je reprends donc ici une grande partie de la tribune d'Eric Walter :
"Le projet de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe, auquel je souscris sans réserve, remet l’adoption sur le devant de l’actualité.Pour avoir conduit la réforme de l’adoption internationale du rapport Colombani, reconstruit l’Autorité centrale de l’adoption internationale, inventé le réseau des Volontaires de la protection de l’enfance et de l’adoption internationale, je tiens à porter au débat quelques idées à l’encontre de lieux communs ou contre-vérités assénés ces derniers mois.
Ouvrir l’adoption aux couples homosexuels n’atteint pas les droits de l’enfant. La Convention internationale des droits de l’enfant ne fait pas mention de la nécessité de parents de sexe opposé et l’adoption en tant que telle est une institution de protection de l’enfance. Elargir l’accès des enfants à l’adoption renforce bel et bien leur droit à la protection. C’est le droit de chacun d’avoir la conviction qu’un couple homosexuel ne peut pas faire famille. Mais c’est instrumentaliser les enfants que de maquiller cette opinion personnelle en atteinte à leurs droits. (...)
En matière de droits de l’enfant, il n’y a pas deux poids deux mesures. (...) On ne peut pas plus prétendre défendre les droits de l’enfant et rejeter ce qui apportera une solution aux 50 000 à 400 000 d’entre eux vivant d’ores et déjà en France au sein de familles homoparentales.
Les droits de l’enfant sont aussi au cœur de l’accompagnement puis du suivi des projets d’adoption. Non exempt de défauts, le dispositif français existe et fonctionne et il est profondément injuste de nier ou occulter sa capacité à intégrer chaque particularité familiale, sauf à considérer que les opinions des adultes qui le font priment sur l’intérêt des enfants pour qui ils interviennent et mettre en doute leur qualité et leur intégrité professionnelles. Enfin, si l’adoption par les couples homosexuels signifiait un «droit à l’enfant» pour ces derniers, au nom de quoi il n’en serait pas de même pour l’adoption par les couples hétérosexuels ou les célibataires ? Affirmer cela, c’est remettre en cause toute l’institution de l’adoption.Ouvrir l’adoption aux couples homosexuels ne pénalisera pas l’adoption internationale. (...) En réalité, si de tels faits discriminatoires voyaient le jour dans des pays d’origine, ce n’est pas l’égalité des droits en France qui en serait la cause, mais bien la dégradation de notre dispositif d’adoption internationale, qui n’est plus, depuis longtemps, adapté à ses enjeux actuels. La capacité française à porter ses projets familiaux dans les pays d’origine tient à un ensemble complexe de relations avec ces pays. Elle est très faible. Il manque une véritable stratégie de terrain, une diplomatie de l’adoption internationale. Pour mieux adopter, la France doit savoir accompagner les pays d’origine à avoir moins besoin d’adoption. C’est le cœur même des principes généraux des droits de l’enfant.
Penser en priorité à l’enfant, c’est porter les efforts sur la rénovation de notre dispositif d’adoption et non sur des débats idéologiques stériles.
C’est à ce prix que les droits de l’enfant seront renforcés et que les adultes porteurs de projets familiaux ne seront pas discriminés. C’est une action de long terme qui engage tous les acteurs publics et privés de la protection de l’enfance. Développer l’accompagnement amont et aval des projets familiaux et rénover notre dispositif d’adoption internationale sont les deux urgences. Sans cesse repoussée, l’opportunité est offerte aujourd’hui de les engager. Si elle ne relève pas stricto sensu du projet de loi proposé par le gouvernement, c’est un de ses grands avantages de la remettre d’actualité. Pour les enfants."
Je trouve que cela fait du bien de lire un propos recentré sur l'adoption et ses failles, sur les nécessités de faire évoluer le dispositif français, sans opposer intérêt des parents et intérêts supérieur de l'enfant, mais au contraire en redonnant du sens à la politique de protection de l'enfance, dans laquelle l'adoption, notamment internationale, s'inscrit, et dont elle est un élément parmi d'autres.
La Croix de son côté, a publié un article équilibré, reprenant l'ensemble des avis , qui ont déjà largement été évoqués dans la presse, et dont je cite quelques extraits ici : "(...) Selon Stéphane Nadaud, les enfants élevés par des couples de même sexe ne souffriraient pas tant de l’homosexualité de leurs parents que de la stigmatisation dont ces derniers sont victimes.(...) Les praticiens étaient arrivés ces dernières années à la conclusion que ce n’était pas tant la présence de l’adulte qui permettait à l’enfant de construire son identité (via un processus d’identification) mais bien plutôt le regard de ses parents. Sans nier le fait que ces petits aient un « surcroît de travail psychique » à faire pour se construire, Suzann Heenen-Wolff a estimé qu’il en allait de même pour de nombreux autres enfants, notamment ceux adoptés ou ceux élevés au sein de familles monoparentales.Opposé au projet de loi, le psychanalyste Jean-Pierre Winter a fustigé un texte ayant pour conséquence « d’effacer les termes permettant la mise au monde d’un enfant ». Redoutant le remplacement des termes « père » et « mère » par « parent », il a mis en garde contre cette « neutralisation » du vocable qui risque de faire oublier à l’enfant « qu’il est le produit d’une certaine mixité ». Selon Pierre Levy-Soussan, les enfants élevés par les couples homosexuels ne seraient pas en mesure de « s’originer » psychiquement ce qui l'amène à décrier certains d'entre eux comme « sans domicile affectif ». . (...) Élisabeth Roudinesco estime en revanche que le mariage est une institution laïque qui n’est que « la traduction légale de ce qu’est la famille à une époque donnée » et, qu’en cela, il n’a rien d’immuable. Sur un plan plus théorique, l’historienne de la psychanalyse a estimé que c’était avant tout la prohibition de l’inceste -avant la différence des sexes – qui faisait la famille. (...)
Enfin, le pédopsychiatre Serge Hefez a estimé qu’il ne fallait pas envisager la famille que de façon verticale -sous l’angle de la filiation – mais aussi de façon horizontale. « Un enfant ne se construit pas que dans son rapport à ses parents, mais aussi au sein d’un groupe horizontal plus large qui l’aime, l’aide à grandir et contribue à son épanouissement », a-t-il expliqué. La priorité, selon le praticien, est avant tout que l’enfant puisse bénéficier d’une « vraie stabilité familiale et qu’il puisse se construire au tour d’une narration lui permettant de situer les protagonistes de son récit »."
Source: Libération, LaCroix, leMonde, Rue89, LeParisien, leMonde,