J’avoue que j’ai eu du mal à arriver au bout de cette histoire qui pourtant, sur le fond, est palpitante. La description de ce que font les Comprachicos fait froid dans le dos, et Victor Hugo se révèle lui-même un monstrueux ironiste: il parviendrait presque à nous faire admettre qu’après tout, il faut bien que les grands de ce monde s’amusent, et que ces enfants sont finalement façonnés comme de l’orfèvrerie et représentent une prouesse d’ingéniosité et d’artisanat qui répondent à une véritable demande artistique avec un à-propos indiscutable. Quel cynisme… L’enfant lui-même, nommé Gwynplaine, et le couple qu’il forme avec la petite fille appelée Dea, sont très touchants. Ils grandissent ensemble de manière fusionnelle, Dea étant la seule à ne voir que la beauté de l’âme de Gwynplaine. Leur adoration mutuelle a quelque chose de divin, et Victor Hugo se plaît à décrire non seulement la pureté mais l’étonnante chasteté dans laquelle ils s’aiment. L’étonnant concours de circonstance grâce auquel Gwynplaine va entrer à la cour est lui aussi fascinant. Le monstrueux et le beau se côtoient et s’inversent. La comtesse Josiane, qui se trouve si belle et ne veut se donner qu’au plus laid, est le premier symptôme d’une belle société corrompue qui ne se soucie pas une seule seconde des miséreux pour qui elle légifère dans le seul but de combler ses plaisirs. Pour Gwynplaine qui voit là une formidable occasion de réussir à attirer l’attention sur la fange dont il sort grâce à sa monstruosité même, la chute sera rude dans cet univers où le culte de l’apparence n’a d’égal que la frivolité et le frisson du répugnant.
Et c’est peut-être là où le bât Hugo blesse. Car Hugo le politicien et l’homme touche-à-tout ne peut s’en tenir à une histoire pleine d’intensité dramatique. Les digressions abondent. Ursus est philosophe? Place aux profondeurs philosophiques. Gwyplaine erre dans Londres? L’architecture est décortiquée jusqu’à la moindre pierre. Gwynplaine entre à la chambre des pairs? Voilà l’occasion d’un plaidoyer social en faveur des plus démunis. J’avoue souvent avoir lu en diagonale, sauté des pages, pour retrouver l’histoire de Gwynplaine dont je voulais vraiment savoir l’issue.
La note de Mélu:
Une fierté de l’avoir lu. Merci à Lili Galipette pour le LC!
Un mot sur l’auteur: Victor Hugo (1802-1885) est un homme politique, dramaturge, poète et écrivain français. D’autres de ses oeuvres sur Ma Bouquinerie:
catégorie “sentiments”