"Il y a encore la guerre là-bas"... nous sommes nous dits. "C'est pour cela qu'il faut qu'il y aille", nous sommes nous répondus.
1. Il y avait la même liesse sur nos écrans de télévision. En Libye en septembre 2011, Sarkozy avait pris la peine de visiter une maternité, une mère avait dénommé Sarkozy son nouveau-né. Au Mali, on nous épargna ce ridicule. Notre président François fut quand même accueilli à coups de "papa Hollande". Sarkozy était accompagné de son nouveau conseiller ès humanitaire BHL. Hollande n'avait que son ministre des affaires étrangères à ses côtés.
2. En Libye, Sarkozy avait un passé à faire oublier, des preuves à cacher. Il fallait frapper les esprits. Le régime Kadhafi avait été largement sollicité par l'équipe Sarkozy dès les années 2005-2006, de la vente d'équipement de répression à la dictature libyenne à la libération des infirmières bulgares. Au Mali, Hollande n'avait rien à cacher, rien à protéger. Le passé libyen de Sarkozy était effroyable. Le passé malien de Hollande s'écrit sous nos yeux.
3. Hollande est donc allé en terrain fragile, puisque la guerre n'est pas terminée. Hollande est allé au contact des soldats et de la population. Le voyage était bien sûr encadré, sur-protégé et bien moins dangereux qu'un autre périple similaire, celui de Sarkozy à Bengahzi. L'actuel président s'est rendu en zone libérée. L'ancien monarque avait voulu jouer au fier-à-bras. Benghazi n'était pas sécurisé. La veille du déplacement, un peu moins de 200 CRS avaient été dépêchés sur place. Au Mali, les forces (militaires) françaises étaient déjà là.
3. Dans les deux cas, une presse s'emballe et perd tout recul. Pour Sarkozy, le direct fut véritablement live. Nous étions au concert, au SuperBowl et aux César d'un immense quinquennat. Pour Hollande, les chaînes d'information manquent de souligner que leur direct ne l'était pas. Il y avait en fait une trentaine de minutes de différé. Reconnaissons-le, ce n'est pas si fréquent en Hollandie: Hollande est le « héros du jour », commente un envoyé spécial du Monde. L'intervention française depuis le 11 janvier, nous rabâche-t-on, n'a subi qu'une perte militaire, la victoire serait pour l'instant totale. Il faudrait pourtant ajouter les 38 otages de l'action algérienne quatre jours plus tard. On s'interroge aussi sur les pertes côté rebelles islamistes. Et, évidemment, sur les dommages collatéraux, c'est-à-dire les victimes civiles. La guerre propre n'existe pas.
En Libye, la presse était au contraire excédée. Pour les journalistes accrédités, le déplacement avait été lancé dans l'impréparation la plus totale. Il avait fallu partir la veille en urgence, s'échouer à Tripoli pour rien puisque le véritable contact public de Sarkozy avait été réservé pour Bengahzi. Un fiasco médiatique.
4. En Libye, Sarkozy n'avait rien à promettre. Hollande avait tout à garantir. Sarkozy faisait son show d'adieu. La France avait lâché la Libye une fois Kadhafi dessoudé. Au Mali, Hollande vient quand la tâche n'est pas terminée, et pour (r)assurer que la France sera là le temps qu'il faudra.
5. En Libye comme au Mali, le déplacement est largement couvert, ultra-médiatisé. Samedi 2 février 2013, Hollande est resté la journée entière. Un discours à Bamako, une visite à Tombouctou. L'homme est resté bien longtemps. Jeudi 15 septembre 2011, Sarkozy fait un voyage expresse, à peine une grosse heure sur place à Benghazi malgré un dispositif hors norme.
6. En Libye, Sarkozy faisait campagne pour sa réélection. L'homme avait attendu plusieurs mois que le colonel Kadhafi fut chasser pour débouler à Benghazi le jour même du premier débat de la primaire socialiste pour la présidentielle. La coïncidence n'en était pas une, avaient confié les conseillers de com' de Sarkozy. Au Mali, Hollande occulte l'une des premières réformes sociétales majeures de son gouvernement - l'adoption, le même jour, du premier chapitre du mariage pour tous. En Libye, Sarkozy voulait faire oublier son passif. Au Mali, Hollande pense ... au Mali.
7. Le premier discours de Hollande a lieu sur la place de l'Indépendance. Le seul discours de Sarkozy fut place de la Liberté. Hollande parla ensuite à Tombouctou, en public, puis à l'institut Ahmed Baba, et enfin dans une ancienne mosquée où furent partiellement sauvés des manuscrits bientôt millénaires. En 2011, Sarkozy resta peu et partit vite.
8. En Libye, Sarkozy fut acclamé aux cris de Allah Akbar. On oublie trop souvent ce détail. Une fraction de la rebellion libyenne, financé par le trouble Qatar, était islamiste. Au Mali, nul malentendu de la sorte sur qui sont nos alliés et qui sont ennemis.
9. En Libye, Sarkozy célébra la victoire mais occulta la réalité. « Peuple de Libye !! Vous avez démontré votre courage. Aujourd'hui vous devez démontrer un nouveau courage, celui du pardon et celui de la réconciliation.» L'ancien monarque oubliait une chose, le nouveau pouvoir n'était pas stabilisé. Au Mali, Hollande évoque autre chose: « Oui, nous devions être là. Ce qui était important de combattre, c'était le terrorisme. » La formule est risquée. Le terrorisme ne s'arrête pas au Mali. Irons-nous partout ? Non. Mais au Mali, rappelons-le pour les critiques sincères ou les autres plus hypocrites, le risque évité était la constitution d'un Etat terroriste. Point barre, et nul regret.
10. Au Mali, Hollande a lui aussi rendu rappelé l'Histoire. « En agissant ainsi, la France était à la hauteur de son histoire. » S'agissait-il d'arrogance ? Non, tout le contraire. Hollande a aussi fait l'anti-discours de Dakar. Le discours de Bamako efface celui de Dakar. Il évoque les Indigènes de la République: « Quand la France était menacée, qui est venu ? C'est l'Afrique ! (...) Nous payons aujourd'hui notre dette. »
11. Au Mali, Hollande rend hommage aux militaires français. Faites attention à vos vies, déclare-t-il aux soldats présents. "L'accueil magnifique, ces cris de joie, ces larmes de bonheur, ce n'était pas adressé à ma personne mais à la France et à ces soldats." En Libye, Sarkozy n'évoque pas nos armées. Officiellement, nous n'avons fait que bombarder de loin.
12. En Libye comme au Mali, nos chefs d'Etat se sont aussi perdus dans l'émotion. Le déplacement libyen était une question d'orgueil. Sarkozy avait raté le printemps arabe. La guerre en Libye était sa revanche. Le déplacement malien était une question d'émotion personnelle et de soutien pragmatique. Difficile de fanfaronner puisque les combats se poursuivaient. Il s'agissait de rester modeste. mais Hollande lâche une confidence curieuse et déplacée, emporté par l'instant : « Je suis peut être en train de vivre l'instant le plus important de ma vie politique. » Pourquoi faut-il que l'exercice du pouvoir dé-scelle ainsi l'esprit de ses plus hauts occupants?
13. En Libye comme au Mali, la situation n'est pas réglée. Mais en Libye, Sarkozy veut nous faire croire que oui (). Au Mali, Hollande reconnaît l'inverse: (1) les troupes islamistes se sont échappées. Le terrorisme n'a pas encore été vaincu, confirme Hollande; (2) le risque d'exactions dans les zones reconquises est élevé; (3) les renforts africains ne sont pas suffisants. La France restera là le temps qu'il faudra. Dans la nuit qui suivit le départ de François Hollande, l'aviation française bombarda la zone de Kidal et de Tessalit plus au Nord, contre "des dépôts logistiques et des centres d'entraînement", a précisé l'état-major.
A suivre...