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Guerres et conflits, l'excellent blog de Remy Porte, consacré comme son nom l'indique à l'histoire militaire, rend compte avec un rythme absolument impressionnant des livres qu'il lit sur le sujet. Il a bien voulu m'interroger sur "Géopolitique de la France". Billet publié simultanément sur les deux blogs.
Pourquoi un livre sur la géopolitique de la France maintenant ?
Tout simplement parce qu’il n’existait pas. Or, une nation comme la France, qui a inventé la notion d’Etat-Nation, qui a eu une présence universelle, qui continue à croire au hard power et au soft power, qui a donc pratiqué une géopolitique depuis très longtemps, la France aurait dû être l’objet depuis longtemps d’une telle étude. Je m’en explique d’ailleurs dans un chapitre annexe du livre, où j’examine la question du tabou de cette géopolitique de la France. Il reste que cette intuition fut à l’origine d’un cours dispensé à Sciences Po qui m’a permis de tester un certain nombre d’idées, avant de poursuivre mes travaux pour arriver à cet ouvrage. Il est le résultat de quelques années de travail, même s'il demeure actuel, tout simplement parce qu'il montre les déterminants de long terme.
Est-il opportun ? probablement car on sent une hésitation géopolitique française, et les documents officiels ne définissent pas très bien les véritables orientations, si l'on va au-delà des tartines de vœux pieux. Or, la France a d'une certaine façon achevé son projet géopolitique précédent (fixation des frontières et recentrage sur un territoire principalement métropolitain). Elle hésite face au tourbillonnement de la planétisation, ce grand rééquilibrage qui rend tout le monde voisin de tout le monde.
Votre ouvrage se distingue par la place qu'il accorde dans une première partie aux éléments internes. Pourquoi avez-vous voulu insister sur ces aspects ?
Mais tout simplement parce que la géopolitique ne peut s’assimiler, comme on le fait couramment, à une simple vision des relations extérieures d’un pays. La Géopolitique est classiquement définie comme la rivalité de pouvoir sur des territoires. Mais elle est surtout l’expression d’une conception politique, celle de la souveraineté. Or, cette souveraineté revêt une double face : elle est à la fois intérieure (dans l’ordre politique, la souveraineté populaire) et extérieure (dans l’ordre international, la souveraineté nationale à la source du système de l’ONU). Il faut donc examiner les deux faces de cette enveloppe (de cette frontière). On ne peut comprendre la posture extérieure d’un pays sans comprendre ses déterminants intérieurs : géographiques, historiques, politiques, économiques, culturels, etc… Or, cette infrastructure est essentielle pour comprendre l’attitude au monde d’un pays. C'est l'objet de la deuxième partie.
Vous êtes globalement peu critique et présentez surtout, semble-t-il, un point de situation. Quels sont selon vous les éléments de faiblesse de la France dans le concert mondial ?
Effectivement, je suis peu critique car je me méfie beaucoup des docteurs yakafokon. Je sais que la posture est bien portée et qu’elle donne le beau rôle, mais aussi beaucoup de ridicules quand les événements démentent les affirmations péremptoires. Je crois surtout avoir démontré qu’une des caractéristiques essentielles de la France tient à son obsession du déclin. Sans cesse, nous avons des censeurs qui nous expliquent que nous sommes en train de sombrer et qu’il faut changer. Je constate que leur rôle n’est pas si néfaste puisqu’effectivement, la France a considérablement changé, justement pour se conformer à son aspiration. Là réside au fond la singularité française : vouloir demeurer encore une « puissance », une différence. Le déclinisme est peut-être outré, mis il constitue un aiguillon qui nous fait évoluer, s’appuyant sur notre besoin de demeurer. We will survive, chantaient les champions du monde de foot en 1998 : tout un symbole !!
Je constate ce trait de caractère, profondément ancré, et très distinctif. Et comme toute caractéristique, il a des vertus et des faiblesses. Votre question suggère une vision binaire (bien ou mal) qui ne correspond pas, me semble-t-il, à la réalité complexe du monde en général, et de la France en particulier. En revanche, plutôt que de parler de faiblesse, je constate une certaine hésitation actuelle (toutefois, elle n’est pas propre à la France mais bien à tout ce qu’on désigne habituellement par l’Occident). Ce sentiment du déclin est désormais partagé par tous nos partenaires occidentaux. Et la France n’a pas encore formulé de projet géopolitique qui puisse être la source d’une ligne stratégique intégrale, comme aurait dit Poirier. Et pour livrer le fond de ma pensée, je n’ai pas l’impression qu’on en accouche prochainement. Je conclus le livre en ébauchant les trois lignes possibles : continentale, maritime, méridionale. Ce choix reste à faire.
Et les éléments de "puissance" sur lesquels elle pourrait s'appuyer ?
Cela fait quarante ans qu’on nous prédit notre déclassement, et nul ne voit que la France est une des principales puissances européennes. Assurément la première puissance militaire, tenant le coup économiquement (y compris avec l’Allemagne sur le long terme), riche d’une démographie solide, disposant de solides relais de par le monde : elle retrouve une configuration inconnue depuis le XVIII° siècle ! Certes, elle doit se battre et innover mais elle a des ressources incroyables, une inventivité solide, une capacité de penser autrement. Elle s'est à la fois normalisée et maintenue dans son exception. Mais il ne faut pas trop complimenter la France : elle risquerait de s’arrêter de faire des efforts, alors qu’elle démontre une énergie incroyable.
O. Kempf