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« Que peut un rossignol si ce n’est sa chanson. »
(La nuit de juillet)
L’auteur :
Né à Paris en 1897, Louis Aragon manifeste très tôt un goût pour l'écriture. En 1917, il rencontre André Breton avec lequel il s'engage dans l'aventure surréaliste. La
publication du roman intitulé Le Paysan de Paris (1926) fait de lui un écrivain d'avant-garde. À la fin des années 1920, il s'inscrit au parti communiste et rencontre Elsa Triolet, qui deviendra
sa femme. Il s'éloigne alors du surréalisme et s'engage dans l'action politique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il entre dans la Résistance et publie clandestinement, aux côtés de Pierre
Seghers, plusieurs recueils de poèmes. Après la Libération, Aragon poursuit son œuvre romanesque et poétique tout en restant un écrivain engagé. Il meurt à Paris en 1982. Cinq de ses recueils ont
été publiés aux Éditions Seghers.
Née Natacha Huttner à Moscou et venue en 1914 à Paris, Dominique Arban est secrétaire de rédaction à L'École de la vie et à Marianne avant la Seconde Guerre mondiale. Après
quatre années de clandestinité, elle collabore au journal Combat, dont elle assure ensuite la direction littéraire. Collaboratrice à France-Observateur, au Figaro
littéraire, puis au Monde, Dominique Arban produit et anime de 1954 à 1968 une émission hebdomadaire intitulée «Étranger, mon ami » sur les ondes de l'ORTF. Spécialiste de
Dostoïevski, elle traduit et publie, entre autres, sa monumentale correspondance. À la fin de sa vie, Dominique Arban rédigera ses Mémoires, Je me retournerai souvent? (Flammarion,
1990). (Source : Editions Seghers)
L’histoire :
Des poèmes devenus le symbole de la résistance littéraire en France.
Après Les Yeux d'Elsa, Il ne m'est Paris que d'Elsa et Le Voyage de Hollande, les Éditions Seghers rééditent le grand recueil de résistance de Louis Aragon. Cet ouvrage rassemble en réalité deux recueils qui furent d'abord publiés séparément par Pierre Seghers en 1946 : La Diane française et En étrange pays dans mon pays lui-même.
Composés entre 1941 et 1944, ces poèmes sont indissociables des circonstances dans lesquelles ils furent écrits, publiés et diffusés. En effet, si certains ont
été édités légalement, d'autres échappent à la censure de Vichy en paraissant dans des revues clandestines, sous des pseudonymes (François la Colère ou Jacques Destaing).
Avec ce recueil, le poète bat la " diane " et tente de réveiller les Français endormis, comme l'avait fait avant lui Victor Hugo dans Les Châtiments.
Il prend également appui sur une tradition remontant aux troubadours de langue d'oc, qui faisaient alterner le parler clair, destiné aux témoins des événements, et le parler
clos, réservé aux initiés. Dans l'un et l'autre cas, Aragon veut convaincre ses compatriotes d'entrer dans une lutte commune et juste qui mobilise " toute sa lyre ".
Ce que j’ai aimé :
Ces poèmes d’Aragon sont un acte de résistance : rédigés entre 42 et 44 sous l’occupation, ils chantent l’amour de la France libérée de ses scories allemandes. Aragon ne concevait pas d’art en dehors des circonstances, pour lui, il était essentiel de témoigner, de lever les masses pour lutter contre l’oppression nazie.
« Il faut libérer ce qu’on aime
Soi-même, soi-même, soi-même » (Marche française)
S’il évoque la femme aimée, c’est pour la comparer à la France bafouée
« Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs » (Il n’y a pas d’amour heureux)
Pour déjouer la censure, Aragon utilise des mythes et des légendes médiévales, des figures nationales comme dans la littérature de « contrebande » du Moyen-Age, il crypte les messages. Les héros de la résistance comme Gabriel Péri sont comparés aux chevaliers du Moyen-Age :
« Ce poème, écrit pour le second anniversaire de la mort de Gabriel Péri, publié illégalement, relève vraiment de la légende et non de l’histoire : en effet, ce n’est pas à Ivry, mais à Suresnes et dans une tombe enregistrée et non pas dans la fosse commune que Péri est enterré. L’auteur, alors dans l’illégalité, n’a pourtant inventé aucun de ces détails, ni l’histoire, peut-être controuvée, des hortensias bleus ; mais déjà la tradition orale avait porté jusqu’à lui moins de deux ans après la mort du martyr cette version déformée par quoi naît une légende aujourd’hui comme au temps de la Chanson de Roland, des Troubadours et des poèmes transmis de bouche en bouche à travers une France alors comme aujourd’hui dévastée et livrée aux soudards et aux chimères. » (Légende de Gabriel Péri)
« Trouver des mots à l’échelle du vent
Trouver des mots qui pratiquent des brèches
Dans le sommeil comme au soleil levant
Des mots qui soient à nos soifs une eau fraîche » (Je ne connais pas cet homme)
La vocation du poète est de « Trouver des mots que personne n’oublie » (Je ne connais pas cet homme), et nous n'oublierons pas ces mots...
Ce que j’ai moins aimé :
Certains poèmes sont plus hermétiques que d’autres –et pour cause-, ils demandent une étude plus approfondie pour être pleinement apprécié.
Premier poème :
« De si loin qu’on se souvînt, la vie avait cette couleur d’habitude qui emprunte aux tournantes saisons ses nuances et fait aux hommes une marée d’humeurs qui varie avec le soleil et le vent. De si loin qu’on se souvînt, il y avait des familles de pêcheurs, des chasseurs habiles à tirer au vol les plumes dans le ciel et la bête des taillis débusquant, et des artisans qui, de père en fils, se transmettaient les secrets du bois, savaient courber le fer, tresser l’osier ; il y en avait qui se crevaient pour d’autres ; et l’on voyait passer sur des chevaux habillés d’étranges étoffes des dames et des seigneurs qui parlaient un langage difficile à suivre, non tant à cause de la vitesse de leurs coursiers que pour les idées de bizarrerie nées dans leurs maisons trop grandes (…) »
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Du même auteur : Les yeux d’Elsa de Louis ARAGON
La diane Française, Louis Aragon, Seghers, 16.50 euros