La nouvelle exposition de l'Espace culturel Vuitton est encore une célébration du voyage. Elle est consacrée au Mail Art mais son intitulé, Correspondances, est un mot plus riche encore parce qu'il invite à faire des liens entre les artistes et leurs oeuvres. Elle ouvre demain au public et vous aurez jusqu'au 5 mai pour la découvrir.
S'il ne fallait retenir qu'une phrase ce serait "Please add and return" ... une invitation de l'émetteur à l'adresse du destinataire. Car le Mail Art suppose un aller-retour.
Ray Johnson est considéré comme l'inventeur du concept, dans les années 50 avec le tout premier collage associant un billet de banque et une étiquette Lucky Strike.
Il y avait eu jusque là des échanges de correspondances magnifiques mais pas avec l'esprit d'en faire une oeuvre d'art. C'est le premier qui eut l'idée de bâtir un réseau. Il commença par des personnes "ordinaires" dont il aurait, légende ou fantasme ... sélectionné les noms au hasard, en piochant dans le bottin.
Il fut l'ami d'Andy Warhol et un fervent admirateur du Pop Art. Certaines de ses oeuvres font penser à ce que faisant cet artiste. d'ailleurs il dessinait des lapins de manière récurrente comme on peut le voir sur les feuilles qui sont exposées.
Mais contrairement à ceux qui vendaient très cher il tenait à ce que l'oeuvre ne coute que le prix d'un timbre. Il disait avec dérision avoir inventé le Flop Art.
On ne peut s'empêcher de penser à Virginia Woolf s'enfonçant dans l'eau les poches lestées de cailloux.
Il n'empêche que l'ensemble délivre un message, que nous nous sommes amusés à trouver presque tout seuls, alors que le titre de l'oeuvre nous l'aurait donné immédiatement. Au moins avons-nous eu le plaisir de déjouer la censure comme Boetti l'avait pressenti pour comprendre qu'il célébrait la liberté pour l'Ethiopie.
L'artiste avait ouvert un hôtel à Kaboul dans les années 70, en plein mouvement hippie qui faisait de cette région une destination à la mode. Il en est parti en 1979 au moment de l'invasion soviétique.
Danh Vo nous fait découvrir la figure de Théophane Vénard, prêtre envoyé par les Missions étrangères de Paris en 1852 au Tonkin, où il entre clandestinement, et où il sera condamné à mort et exécuté en 1861. Il avait appris le vietnamien pour se mettre au service de son évêque. La situation était alors difficile pour les chrétiens et les persécutions furent intenses contre eux. Il se réfugia dans des grottes ou des cachettes, protégé par des villageois chrétiens. Il y traduisit des épîtres en vietnamien et fut nommé supérieur du séminaire. En 1860, il est dénoncé par un villageois et capturé, puis exécuté l'année suivante par décapitation.
Les nombreuses lettres qu'il a écrites tout au long de sa vie, et notamment pendant sa période missionnaire, sont recueillies et publiées par son frère Eusèbe après sa mort. Elles font grande impression en France, notamment auprès de Thérèse de Lisieux.
Phung Vo, le père de l'artiste, a recopié à la main la dernière dont voici un extrait : Un léger coup de sabre séparera ma tête comme une fleur printanière que le Maitre du jardin cieulle pour son plaisir. nous sommes tous des fleurs plantés sur cette terre que Dieu cueille en son temps, un peu plus tôt, un peu plus tard. (...) Je vous souhaite, cher Père, une longue, paisible, et vertueuse vieillesse. Portez doucement la croix de cette vie, à la suite de Jésus, jusqu'au calvaire d'un heureux trépas. Père et fils se reverront au paradis. Moi, petit éphémère, je m'en vais le premier. Adieu.
Vittorio Santoro applique le principe au pied de la lettre comme le prouve la presque centaine de lettres qu'il a affichées sur trois murs de l'Espace, punaisées selon un ordre qui n'appartient qu'à lui, et toujours à la droite de l'enveloppe. L'effet est saisissant. La vue d'ensemble est puissante. Très vite le regard est attiré par un graphisme, une disposition des phrases, une signature, une couleur d'encre ou de papier, un format d'enveloppe.
Il a envoyé, entre mars 2010 et novembre 2011, des "invitations" à des gens issus ou non du milieu de l'art, leur demandant sans lus d'explication de lui renvoyer par courrier, dans un premier temps, une lettre comportant l'énigmatique phrase "Silence destroys consequences".
Sommes-nous indiscrets si nous lisons les réponses... entre les lignes ?
Eugenio Dittborn tentait de ne pas perdre un mot des explications qui étaient données à propos de son History of the Human Face, composée de 5 palimpsestes qu'il adressa sous enveloppes à l'Espace culturel. Chaque morceau fut déplié, surtout pas repassé puisque les plis attestent du voyage.
Chacun sera d'ailleurs réexpédié dans une nouvelle enveloppe après avoir été replié.
En faisant ainsi voyager son oeuvre l'artiste contourne les frontières de la dictature mais il court aussi le risque de la perte. Les enveloppes sont des fabrications spéciales imaginées par l'artiste qui m'a dit avoir constitué un stock énorme, lequel semble s'épuiser de façon préoccupante.
Il importe en effet que les Postes considèrent toujours ses peintures comme des lettres et les acheminent immanquablement à n'importe quel endroit de la Terre.
Il nous explique que le voyage est la politique de ses peintures et les plis, le dépliage de cette politique.
On peut voir les enveloppes sur le mur de gauche et les toiles juste en face sur le mur de droite. Une évocation de Brueghel marque la toile centrale, la numéro 3, alors que la première et la dernière évoquent la consommation de l'art.
Il combine plusieurs techniques (mentionnées sur chaque enveloppe) et combine avec des croquis prélevés dans les livres donnés aux enfants pour apprendre à dessiner.
Il faut les regarder de loin puis de près, s'attacher aux détails, observe l'invisible :
Une autre surprise m'attendait dans le hall avec une performance dansée très réussie.
Correspondances, à l'Espace culturel Louis Vuitton, 60, rue de Bassano, 101, avenue des Champs-Élysées 75008 ParisOuvert du lundi au samedi de 12h00 à 19h00, le dimanche de 11h00 à 19h00.Tel 01 53 57 52 03www.louisvuitton.com/espaceculturel