Pour saluer le Tiers Monde

Publié le 03 février 2013 par Lynessworld @agnes_lyness


J'ai joué il y a quelques années, dans une pièce de théâtre qui rendait hommage à Aimée Césaire.Mené par la metteur en scène (au féminin je ne sais pas comment le dire) Suzy SINGA, nous étions plusieurs amateurs à fouler les planches, en plein air, devant la Mairie de Sainte Luce en Martinique. Un grand moment dans ma courte carrière de comédienne. Avoir la chance de déclamer la poésie de Césaire devant un public, acquis d'avance certes, mais quand même. Dans mes textes, j'avais une partie du poème ci-dessous "Pour saluer le tiers monde", que je découvrais alors...! Du coup j'ai voulu relire ce poème que Césaire avait écrit pour son ami Léopold Sédar Senghor. A mon tour de vous le faire découvrir si vous ne le connaissez pas.
Pour saluer le Tiers Monde

à Léopold Sédar Senghor

Ah!mon demi-sommeil d'île si troublesur la mer !
Et voici de tous les points du périll'histoire qui me fait le signe que j'attendais,Je vois pousser des nations.Vertes et rouges, je vous salue, bannières, gorges du vent ancien,Mali, Guinée, Ghana
et je vous vois, hommes,point maladroits sous ce soleil nouveau !
Ecoutez :    de mon île lointaine    de mon île veilleuseje vous dis Hoo !    Et vos voix me répondent    et ce qu'elles disent signifie : « Il y fait clair ». Et c'est vrai :même à travers orage et nuit pour nous il y fait clair.D'ici je vois Kiwu vers Tanganika descendrepar l'escalier d'argent de la Ruzizi(c'est la grande fille à chaque pasbaignant la nuit d'un frisson de cheveux)d'ici, je vois nouésBénoué, Logone et Tchad ;liés, Sénégal et Niger.Rugir, silence et nuit rugir, d'ici j'entend:rugir le Nyaragongo.
De la haine, oui, ou le ban ou la barreet l'arroi qui grunnit, maisd'un roide vent, nous contus, j'ai vudécroître la gueule négrière !
Je vois l'Afrique multiple et uneverticale dans la tumultueuse péripétieavec ses bourrelets, ses nodules,un peu à part, mais à portéedu siècle, comme un cœur de réserve.
Et je redis : Hoo mère !                                    et je lève ma force                                   inclinant ma face.                           Oh ma terre !
que je me l'émiette doucement entre pouce et indexque je m'en frotte la poitrine, le bras,le bras gauche, que je m'en caresse le bras droit.
Hoo ma terre est bonne,ta voix aussi est bonne avec cet apaisement que donneun lever de soleil !
Terre, forge et silo. Terre enseignant nos routes,c'est ici, qu'une vérité s'avise,taisant l'oripeau du vieil éclat cruel.Vois:l'Afrique n'est plusau diamant du malheur    un noir cœur qui se strie ;
notre Afrique est une main hors du ceste,c'est une main droite, la paume devantet les doigts bien serrés ;
c'est une main tuméfiée,une-blessée-main-ouverte,tendue,    brunes, jaunes, blanches, à toutes mains,à toutes les mains blesséesdu monde.
Ferrements,poèmes, Seuil, 1960




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