Alors comme ça, notre bon président François Hollande a réussi à arracher 60 millions d'euros au grand méchant Google. Pour les offrir aux éditeurs de presse lésés par la manière dont Google utilise leurs journaux en ligne. Saluons ce nouvel exemple du style Hollande : perdre en criant victoire. Ce n'est pas le win-win, c'est la win-loose.
Ce 1er février donc, François Hollande, président de la République Française, et Eric Schmidt, président du monde (enfin, de Google) ont trouvé une "heureuse conclusion" (dixit le communiqué de l'Elysée) à la guerre qui opposait la presse généraliste française au "géant de Mountain View" (pour reprendre la métaphore-tic des commentateurs, qui l'emploient pour éviter trop de googlitudes et introduire un brin de couleur locale californienne dans leur bla-bla : prenez-en de la graine, bande d'ignares ; à propos, les Américains remplacent "géant" par "behemoth" pour les mêmes raisons, c'est plus imagé, plus mythologique, ça fait plus peur, c'est mieux*).
Or donc : Job contre Léviathan, David contre Goliath, Hollande contre Schmidt... Oui Monsieur, en France on fait plier (et casquer) le gougueule (les Belges l'avaient déjà fait en octobre dernier, mais les Belges, ça ne compte pas). Plier oui, mais au jeu de qui perd gagne, c'est encore le grand Malin qui l'emporte, ça ne fait pas un pli.
Car 60 millions, c'est un pognon fou, mais... ce sera tout. Une taxe annuelle, comme il en était question ? No way ! Rémunérer les éditeurs pour leur contenu ? Forget it ! Régulariser la situation fiscale de Google et stopper l'exfiltration de ses bénéfices générés sur le sol français ? Never! Une "taxe Google" qui ferait jurisprudence ? Are you out of your mind ? (traduction : "Poules, avez-vous des dents ?").
Non, ces 60 millions seront versés une bonne fois pour toutes à un fond d'aide à "la transition numérique de la presse" et notamment aux projets de "changement structurel" des éditeurs d'information généraliste. Allez, les gars, au boulot ! Finalisez votre mue si vous en êtes cap' et welcome au troisième millénaire ! (N’oubliez pas la clé sous la porte cependant).
Avec crêpage de chignons garanti au passage, puisque cette "manne" ne sera pas versée directement aux journaux (quotidiens nationaux et régionaux, hebdos de news et "pure players"). Les éditeurs concernés seront "éligibles" - à travers une énième usine à gaz à la française, gardez confiance. Et bien entendu, certains (lire : les trois grands groupes de presse français) seront plus éligibles que les autres, à vos miettes, partez !
Oui, un bel exemple de la win-loose à la Hollande. Ou plutôt du win-win à la Google : je gagne d'un côté ce que je gagne de l'autre. Puisque cette "heureuse conclusion" est aussi… une conclusion tout court. Le fisc français, qui comptait réclamer à Google 1.7 milliard d'euros à la louche à titre de régularisation fiscale, devra ranger ses calculettes et passer l'éponge sur l'ardoise. La "taxe Google" sur les contenus étant elle-aussi effacée des tablettes, Google continuera à faire 1.3 millions d'euros de bénéfices annuels en France (au bas mot) et n'en déclarer que le dixième... Bref continuer à payer des impôts-clopinettes sans qu'on lui cherche des poux dans la tête désormais, puisqu'on a déjà trouvé "à l'amiable" le pourliche de 60 millions glissé sous la soucoupe du petit café pris par Eric Schmidt à l'Elysée.
Il paraît que le montage financier permettant à Google de réduire son impôt sur les sociétés s'appelle le "sandwich hollandais". Avant l' "heureuse conclusion" du 1er février 2013 au Palais, ce n'était pas une allusion à François Hollande. Depuis, ça l'est.
*A lire : Behemoth, de Thomas Hobbes, et Leviathan du même auteur, deux livres fondamentaux de théorie politique. Pour un peu de vraie culture. Qui est Thomas Hobbes ? Allez chercher sur Google. C'est gratuit...