Voyons un peu les déboires récents de notre société d'État en matière de paris. En 2002, elle investit 85 millions $ dans des casinos en France. Or, dans cette folle aventure, elle fait maintenant face à un déficit accumulé de plus de 59 millions $. Mais, peu importe, nous dit notre société joueuse: il n'est pas question de se départir de ces actifs tant et aussi longtemps que l'on ne réussira pas à regagner l'argent perdu.
Évidemment, Loto-Québec ne s'arrête pas là. Un autre exemple: jugeant que les hippodromes de Trois-Rivières et de Québec ne rapportaient pas assez, notre société d'État décida de les remplacer par des maisons de jeu appelées Ludoplex. Loto-Québec y investit alors 65 millions $. Or, après quatre ans d'existence, les pertes ne cessent de s'y accumuler. On parle de 3,4 millions $ de pertes en 2011 pour les établissements de Québec et de Trois-Rivières et de 3,1 millions $ de pertes en 2012 uniquement pour celui de Trois-Rivières. Mais, encore là, peu importe, nous dit Loto-Québec: il ne faut pas lâcher pas le morceau. Il faut donc comprendre que, comme tout vrai joueur compulsif, elle ne s'en fait pas outre mesure avec ses pertes financières...
Aussi, sans attendre, Loto-Québec relance de nouveau sa mise ailleurs: c'est ainsi que, tête baissée, elle décide de construire un quatrième casino à Mont-Tremblant nécessitant cette fois-ci 66 millions $ de notre argent. Ce nouveau casino devait rapporter au bas mot, selon les dits experts financiers de Loto-Québec, 50 millions $ par année. Or, le rendement réel n'est aujourd'hui que de... 15 millions $!
Loto-Québec ne perd pas espoir et engloutit ensuite frénétiquement 80 millions $ dans les jeux en ligne. Le marché du jeu en ligne possède un potentiel énorme, nous disait-elle, toute excitée, en 2010. Mais encore là, pas de chance: c'est un cuisant échec! Alors que les revenus devaient être de 50 millions $ dès la première année, ils sont à peine de... 20 millions $!
Tout comme le joueur possédé par le jeu dans le roman de Dostoïevski, Loto-Québec remet encore et encore de l'argent sur la table. Et, cette fois-ci, c'est une très grosse somme: 305 millions $! De quoi construire environ 2000 beaux condos! Découragée du Casino de Montréal, dont les revenus stagnent depuis un certain temps, Loto-Québec croit pouvoir enfin se refaire en le rénovant avec grand faste. En misant sur le côté glamour qu'aura le casino une fois rénové, elle espère y attirer de gros joueurs. Notons que ceux-ci n'ont jamais représenté plus de 10% de sa clientèle.
On se demande cependant pourquoi de gros joueurs viendraient salir leur belle limousine dans les rues crasseuses et raboteuses de Montréal! Cette ville n'est tout de même pas Las Vegas où, pour $168, (le prix d'un billet d'avion aller-retour chez Porter), n'importe quel gros joueur, qu'il soit de Montréal ou d'ailleurs, peut facilement aller jouer. Peut-être aurait-on d'abord dû penser à investir dans une cure de beauté pour Montréal. Cette ville en aurait bien plus besoin que son casino. Mais cela est une autre histoire...
Ce que notre société d'État joueuse ne semble pas comprendre toutefois, est le fait qu'aujourd'hui, et cela, presque partout à travers le monde, le marché du jeu plafonne. En fait, ce marché est tellement saturé que l'offre est beaucoup plus grande que la demande et que seules quelques grandes capitales mondiales du jeu comme Las Vegas, Atlantic City, Monaco ou Macao, échappent à la désaffection généralisée des gros joueurs.
Aussi, à la suite de toutes ces récidives de Loto-Québec qui, depuis un bon bout de temps déjà, gaspille follement notre argent à gauche et à droite dans des paris perdus d'avance, je crois qu'une thérapie de choc s'avère être plus que jamais nécessaire pour elle. Cette société d'État est devenue au fil des années une très grosse machine qui coûte très cher à faire fonctionner et que l'on doit absolument, compte tenu de ses échecs et du contexte mondial du jeu, dégraisser!
Notons d'abord que plus du tiers de l'ensemble de ses revenus, soit 35%, sert uniquement à défrayer ses coûts de fonctionnement. C'est énorme! Et pour cette somme que fait-elle? Elle vend des billets de loteries, opère quatre casinos et exploite des machines de loterie vidéo. Ce petit service nous a coûté 1 milliard 348 millions $ en 2012! Or, cette même année, Loto-Québec remettait au Trésor public pas plus que 1 milliard 196 millions. Il en coûte donc plus cher pour aller chercher cette somme dans la poche des joueurs que ce que cela nous rapporte comme contribuables.
Il faut dire que, dans nos sociétés d'État, les salaires sont en général 20% plus élevés qu'ailleurs dans la fonction publique. Par exemple, le salaire du président de Loto-Québec est de 329 000$ par année plus 50 000$ en bonus. Ceux des huit plus hauts dirigeants de Loto-Québec se situent entre 217 000$ et 267 000$ par année plus bonus, évidemment. On comprendra qu'avec de tels salaires, personne ne se plaindra et n'osera avouer qu'à Loto-Québec, rien ne va plus !
Plutôt que d'avoir un regard lucide sur la situation actuelle des jeux d'argent dans le monde et rationaliser l'entreprise en conséquence, les dirigeants préfèrent se lancer encore dans des projets morts-nés afin de justifier leur emploi devenu bidon. Comme contribuables, nous n'avons pas à payer pour cela!
Il va falloir que le gouvernement du Québec comprenne que le gaspillage des dernières années à Loto-Québec a assez duré. En rationalisant sérieusement l'entreprise, Loto-Québec pourrait très bien continuer à assurer des redevances tout aussi substantielles au gouvernement tout en ayant un budget de fonctionnement réduit de beaucoup... 1,3 milliard $ uniquement pour faire fonctionner une entreprise qui ne progresse plus, c'est beaucoup trop!
Pierre Desjardins
Philosophe, membre de la coalition Emjeu (Éthique pour une modération du jeu) et auteur du Livre noir de Loto-Québec