- Cinéma
- Etats-Unis
Devant le déluge d'enthousiasme de commande répandu à foison dans les médias, je me vois dans l'obligation de dire que "Lincoln" ne vaut pas le coup. Et pour tout dire, est franchement mauvais. Je n'avais pas forcément l’intention d'en faire un billet, mais ce film nous raconte pas mal de choses de l'Amérique.
1/ Convenons tout d'abord des points positifs. Mettons les au singulier : le jeu des acteurs, avec Daniel Day-Lewis qui est tout à fait saisissant, et un Tommy Lee Jones mutique à son habitude et décalé dans un costume d'époque. Pour le reste...
2/ Oh! bien sûr, il faudrait qu'on se répande en louanges ! pensez : Spielberg, l'Amérique, l'abolition de l'esclavage ! Comment peut-on être contre ? on ne peut en dire "que du bien". Et voici donc des critiques gênés, faisant le boulot et attribuant trois étoiles et expliquant des choses, sans suggérer réellement d'enthousiasme.
3/ Car voici un film grandiloquent, mièvre et bourré de sensiblerie, long et assez ennuyeux, verbeux et confus, où des personnages émus ne cessent de nous bassiner les oreilles de leurs états d'âme (madame Lincoln est absolument insupportable), tout en opérant sans sourciller la plus vile manœuvre de corruption parlementaire et en repoussant la fin de la guerre de trois mois, ce qui provoque "accessoirement" quelques dizaines de milliers de morts supplémentaires. Ben voyons !
4/ Voici au fond le vrai sujet du film : la bonne conscience criarde de l'Amérique, qui nous montre un intégriste puritain, au raisonnement froid et implacable, allant "au bout de ses idées" pour installer ses principes quel qu'en soit le prix. Un idéologue, finalement, matois et calculateur, qu'on nous présente comme un saint homme au nom des "principes". Un pur qui corrompt, et sciemment ! D'autres ont suivi le même type de raisonnement, mais ils n'ont pas gagné, ce qui explique la différence de leur postérité. Robespierre, incorruptible, doit regarder cela avec admiration.
5/ Car voici l'histoire d'une Amérique qui domine une autre par la force(soyons bien d'accord : je n'ai aucune sympathie pour les esclavagistes ni pour les sudistes) et qui impose par la force une fédération. L'Amérique qui invente la première guerre industrielle de l'histoire, bien avant les deux guerres mondiales. Une Amérique qui invente un État militariste dont nous observons encore les métastases de nos jours (ce qui d'ailleurs donne un certain crédit à tous les ploucs opposés aux "dictateurs de Washington"). Oui, Lincoln est symbolique de l'Amérique, et ce mauvais film est symbolique de la façon dont l'Amérique se considère aujourd'hui.
6/ Car là réside l’enseignement du film : il obtient un grand succès outre Atlantique, car il reprend le "récit" commun, comme le dernier témoignage d'une illusion perdue, celle de l'unité américaine. Elle a été obtenue par la force, elle est aujourd'hui en train de se déliter, et chaque Américain en a inconsciemment conscience. Qui sait qu'il y a aujourd'hui sept ou huit procédures de référendum en faveur d'une sortie de l'Union ? Lincoln est une réponse Hollywoodienne à un processus d’éclatement, une tentative de renouer les fils, un hymne patriotique, une reconstruction géopolitique sentimentale et trop démonstrative pour être vraiment convaincante.
En plus, le film est long : économisez (temps de transport compris) quatre heures et prenez un bon bouquin.
O. Kempf