"A pour ancien ; R pour recherches ; C pour cartons ; H pour histoire ; I pour incommunicable ; V pour vétuste ; E pour Elitiste ; S pour saturé... Images stéréotypées, pas toujours flatteuses, associées à un seul mot : archives. Tels sont les premiers clichés qui me viennent à l'esprit (...)". Voici donc un thème de "j'ai testé..." qui ne devrait pas, à priori, susciter le déchainement des foules en délire et de fans en extase. Et pourtant, je prends le pari (le risque ?) de tenter de vous intéresser à la chose...
L'extrait ci-dessus, c'était l'intro d'un article d'Eric Pincas pour la revue Historia (juin 2003), citée par des profs dans un module du cours de formation au métier d'archiviste sur Piaf 2.0. "Cette phrase pourrait être reformulée ainsi : pour ce journaliste, les archives se résument à des cartons remplis d'anciens documents entassés dans des locaux saturés et vétustes, destinés aux recherches d'une petite élite d'historiens autorisés, mais largement inaccessibles et inexploitables pour la majeure partie de la population. Et pourtant la situation est tout autre ! D'ailleurs la vision du journaliste a complétement changé après sa visite."
Lors des dernières Journées du Patrimoine, les Archives Départementales de l'Isère ont ouvert leurs portes au public. Et, si si, rien à voir avec le joyeux bordel poussiéreux impénétrable que l'on pourrait imaginer !
La mission :
Collecter - Conserver - Classer - Communiquer
(et ils s'y mettent à 30 !)
Pas besoin de courir après les docs. Les archives publiques sont déposées (= peuvent être récupérées) ou versées (= là c'est définitif) par les services administratifs. Les archives publiques sont déposées/données/léguées/laissées en dation par des familles/entreprises/associations.
Elles sont portées sur divers supports : parchemin (chèvre ou mouton, rarement du veau car c'était trop cher), différents papiers. Certaines seront conservées en prime sur microfilm ou CD-rom. Et on y trouve de tout : contrats de mariage, reconnaissances de dette, minutes de jugements, contrats d'apprentissage... Il y en a même une sorte qui a donné naissance à une expression très connue de tous (essayez de deviner...) ! :
une expression populaire provenant d'une sorte... par testsdesophie
Impossible de tout garder ! Pour ce qui est du tri et de la destruction, c'est une question de typologie (qu'est-ce que c'est comme document : factures de fournisseur invalidées par exemple). Pas de bidouille dans son coin selon son humeur du jour, il y a des règles nationales à respecter pour faire ce tri. Et il est souvent fait en amont (ainsi pour les jugements on ne garde que les minutes de procès, et c'est au tribunal que ça se fait avant dépôt aux archives, pas par les archivistes).
Lorsqu'elles sont récupérées, Les archives ne sont pas toujours de la première fraicheur...
Archives et eau ne font pas bon ménage : l'humidité, les infiltrations ou les inondations représentent les ennemis n°1. Là où l'eau passe, le papier trépasse, ourgh ! Les moisissures, les rongeurs, les bactéries, les insectes (les petites vrillettes, les psoques ou poux des livres, les blattes, les lépismes ou poissons d'argent) ont aussi l'amour vache à sens unique envers le papier. Une bonne illustration du "Je t'aime moi non plus" ! Sans parler des petits malins qui recyclaient des documents en objets divers.
Avec l'ambiance sonore qui va bien, voici le pire cauchemar de toute archive :
les ennemis jurés des archives par testsdesophie
Si une restauration est nécessaire, elle ne se fait pas sur place. Attention, pas de "l'air de rien j't'embrouille à la Photoshop" ici : tout ce qui est fait doit être détecté au premier coup d'oeil. Un trou dans un papier n'est pas forcément comblé, et s'il l'est la pièce rapportée doit être visible sans ambigüité. Et puis pas question de s'amuser à compléter un texte à trous de gruyère. Si au final le document reste vraiment trop fragile pour être manipulé, il en est fait une copie sur microfilm ou CD-rom selon le volume. L'original est bien sûr conservé.
Beaucoup de documents doivent être reconditionnés. Tout d'abord, il faut virer toutes les petites merdouilles qui maintiennent tant bien que mal les feuilles de papier ensembles, et qui les abiment et/ou peuvent blesser les manipulateurs : épingles, trombones, élastiques, etc. (ça rouille, ça déchire, ça pique...). Les pochettes plastiques non adaptées (celle sur lesquelles l'encre se transfère avec le temps) sont aussi éradiquées sans pitié. Et enfin, un bon dépoussiérage à l'aspirateur des vieux documents est l'arme absolue contre les moisissures et les acariens. Gants et masque conseillés pour l'opérateur !
Y'a plus k'a les ranger...
Une fois tout le boulot effectué depuis sa récupération, ce serait ballot ne pas conserver les documents dans de bonnes conditions. Ils trouvent donc chacun une place sur une des étagères d'un des "magasins" où la température et l'hygrométrie sont contrôlées, et où la lumière et la poussière se font rares.
Et pour les retrouver lors d'une recherche, ils reçoivent chacun une cote. C'est une combinaison unique de lettres, chiffres, signes qui l'identifie et permet de retrouver son "adresse" précise dans les locaux, elle-même symbolisée par des lettres et chiffres. N'empêche que même si cela manque de glamour (un truc genre " Mme Lafleur 25 allée des violettes" c'est tout de même plus joli qu'un, je dis au pif, archive W2575772 située au B-1-27-35-3-4), ça peut pas mal aider le gars qui cherche un acte parmi les 38 500 registres de notaire rangés dans un des 19 magasins, quelque part au milieu des 34 km de linéaires ! :
Magasin des archives départementales de l'isère par testsdesophie
Et quand quelqu'un veut consulter quelque chose...
Hors de question de lâcher n'importe quel quidam dans les travées des magasins bourrées de docs.
A l'accueil, le visiteur présente sa carte de lecteur (délivrée gratuitement sur présentation d'une pièce d'identité officielle avec photo), et dépose ses affaires (veste, sac, parapluie...) dans un casier numéroté (ça évite les tentations de vol ou de dégradation, ben oui)
Il passe ensuite dans la salle d'inventaire pour rechercher la cote de l'archive qu'il convoite, en s'aidant du plan de classement national (qui classe les archives en séries). Bon, c'est très rébarbatif à lister, mais en très gros pour résumer, à part quelques exceptions (les archives privées, les documents figurés, les microfilms...), ce classement se fait par époque (séries anciennes avant 1790, administration révolutionnaire 1790-1800, archives modernes 1800 à 1940, archives contemporaines après 1940), puis par sa provenance (quelle administration a versé quoi). Puis il saisit la cote sur un ordi équipé d'un logiciel tip-top pour le job.
Un magasinier récupère un ticket édité grâce à la manip' et va récupérer l'archive dans un des magasins Quand l'archive est disponible en salle de lecture, le magasinier place le ticket au niveau d'un tableau d'affichage. Le visiteur a alors accès à l'archive, qui a été bipée, en échange du ticket.
Bien évidemment, des règles de bonne conduite sont à respecter : pas le droit de boire ni de manger, pas de stylo bille...
Et pour les docs sur microfilm :
consultation d'un microfilm aux archives... par testsdesophie
Voilà, il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire, mais c'est déjà un bon apperçu !
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Bonus
Surprise sympa pour les personnes venues suivre certaines des visites guidées organisées lors des Journées du Patrimoine : un interlude théâtro-musical avec la compagnie de théâtre Zéotrope !