La machine parlante, visite guidée de la Phonogalerie, Paris Face Cachée (Paris 9)

Publié le 01 février 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

A quelques pas du Pigalle que l’on connait, se trouve la Phonogalerie et soit une époque passée, et un monde du son insoupçonné. On y est accueillis par deux passionnés des machines parlantes, collectionneurs désormais spécialisées dans ces objets oubliés. Maitrisant vraiment son sujet, notre hôte nous retrace ainsi l’histoire des machines parlantes, en l’illustrant d’anecdotes, en nous montrant ses pièces extraordinaires et en nous faisant écouter les chansons. De la simple écoute, nous faisons chacun naître nos propres images et nous partons pour un joli voyage à la fin du 19ème siècle, début du 20ème.

L’envie de capturer la voix et le son sur un objet n’est pas récente. Déjà dans l’Antiquité, cette idée germait, car garder la trace de la voix de quelqu’un de disparu permettait en quelque sorte de l’immortaliser.

C’est en 1877 que Léon Scott de Martinville, imprimeur de profession, met au point sa machine, qu’il appelle « phonautographe ». Il enregistre sur une feuille de papier avec du noir de fumée.  L’appareil enregistre mais il ne peut pas restituer le son. Léon Scott de Martinville dépose tout de même son brevet. La société dite d’encouragements, qui le finance, conserve alors à sa suite toutes ses feuilles. Celles-ci ont été récupérées en 2008 par des américains, qui les ont scannées. En passant cela dans la machine, on entend une femme chanter « Au clair de la lune », mais le pas de vis n’est pas bien calibré et en les passant sur une machine adaptée au musée de Hollande, on distingue bien un homme chanter, qui pourrait peut être même être Léon Scott de Martinville lui-même.

A sa suite, Charles Cros, poète amateur de sciences, prend connaissance de ses travaux. Il constate l’impasse dans laquelle son prédécesseur s’est trouvé, qui est certainement due au fait que l’impression dans la feuille est trop légère, et qu’il faut aller davantage en profondeur pour lire la surface. Il privilégie la voix et sa restitution. Selon lui, l’écrit ne suffit pas à rendre compte d’une idée, c’est avec la voix qui enveloppe et guide, que l’on est plongée dans un univers. Il travaille dans ce cadre aussi sur un appareil destiné aux sourds-muets. Il le présente à Bréguet, le fabricant de montres, qui n’y croit pas tellement et qui ne le soutient pas. Il va donc déposer un pli cacheté destiné simplement à faire connaitre son invention. Il rencontre également l’abbé Lenoir qui contribue à la Revue du Clergé qui, souhaitant se moderniser, aborde des sujets scientifiques. Les gens étaient à cette époque, très friands de ce type de sujets. Il publie un article sur la machine de Charles Cros en avril 1877, en se disant que ça servira peut être à quelqu’un.

Pendant ce temps, Edison s’implante en Europe. Il envoie l’article aux Etats-Unis. En décembre 1877, il remplace le disque de Charles Cros sur sa machine, par un cylindre, il y place dessus des feuilles d’étain à usage expérimental, qui ne servent donc qu’une fois. A partir de 1878, il présente sa machine. Léon Scott de Martinville l’apprend et revendique la paternité de l’invention. Il perd la procédure judiciaire qu’il entame contre Edison, et déclare dans l’introduction de son dernier livre mémoire de 1878 : « Je ne demande pour mes efforts qu’une seule récompense (…) de ne pas oublier de prononcer mon nom dans cette affaire… ». Charles Cros écrit simplement un poème en 1885, qui n’est pas associé directement à la machine, mais la correspondance est facile à faire.

A l’Exposition Universelle de 1889, les deux géants de l’électricité, Edison et Graham Bell sont très à l’honneur. Bell est intrigué par la machine, et il fait des essais. Il s’aperçoit alors que la cire est un très bon conducteur pour les vibrations. Il met alors au point le cylindre en cire amovible. La concurrence entre eux est lancée, Bell appelle sa machine le gramophone et Edison le phonographe. Ils mettent au point chacun des dispositifs pour l’Exposition Universelle : Edison fixe plusieurs paires d’écouteurs à sa machine, pour pouvoir isoler les gens qui écouteront du bruit extérieur, tandis que Bell place les gens dans des cabines séparées dans lesquelles les gens peuvent d’enregistrer sur un morceau de cylindre qui sera ensuite placé dans une boite souvenir de l’événement (et pour encourager l’achat de la machine). La gravure s’effectue en parlant dans le pavillon. A l’écoute, le premier est plutôt fort en volume, et la personne qui chante n’est pas forcément professionnelle.

Des forains venus à l’exposition voient ces inventions, et s’emparent de l’idée pour en faire commerce. Ils investissent dans une machine, et ils font payer les gens pour qu’ils s’enregistrent. Charles Pathé est ceux-ci, mais il finit par enregistrer ses propres cylindres avec des chansons que les gens aiment et qu’ils connaissent.

En apprenant cela, Bell et Edison brident les cylindres en mettant au point le cylindre moulé sur lequel il n’est plus possible d’enregistrer. Il y aura à sa suite un cylindre extrêmement solide qui sera mis au point en celluloïd.

Emile Berliner commence doucement, il met au point une machine et un appareil pour presser des disques. Les premiers sont faits avec un caoutchouc très dur comme du pneu. Le disque était expérimental, il y enregistre des comptines pour les enfants si bien que sa machine est commercialisée uniquement dans les boutiques de jeux. Il enregistre en au moins 5 langues différentes, au dos du disque était collée l’étiquette avec les paroles de la chanson.

En 1904, Berliner crée une société d’actionnaires, il fait les choses de manière plus structurées. Il nomme un ingénieur du son et un directeur artistique. Il contacte des artistes, il explique la démarche artistique. Il parvient à rassembler des gens renommés et à faire un vrai catalogue. A l’écoute, le résultat est très différent. On a une impression de structure dans les morceaux, qui sont de vraies œuvres chantées par de bons interprètes. Les pièces sont diverses et l’on dénombre des chants d’opéra, des opérettes, des marches militaires, des morceaux instrumentaux (piano, violon…). L’appareil restitue un son, comme si l’artiste habitait la machine, comme s’il était dedans. Berliner met aussi en place la publicité, et nous connaissons encore son logo et « La voix de son maitre ». Les artistes qui acceptent d’enregistrer permettent une certaine vulgarisation de l’usage et des pièces musicales. La musique est partagée : les maitres jouissent du pouvoir gratifiant de la machine qui émerveille les serviteurs (qui écoutent avec lui à des moments de pause), ou ses invités. Entre 1904 et 1910, beaucoup de petites marques voient le jour, mais ne durent pas. Les grosses entreprises s’implantent Boulevard des Italiens et Boulevard des Capucines à Paris qui étaient les endroits chics de la capitale (proches notamment de l’Hôtel de la Paix et de l’Opéra).

La majorité des pavillons dans la pièce datent de 1920. Leur diversité est purement esthétique et commerciale : ici on en voit en bois, en métal, en cristal… En plaçant les deux têtes sur le même bras, on obtient de l’écho. Cet effet amplifiait le côté magique.

En 1927 on voit apparaitre un appareil semblable à un meuble de salon à deux portes, elles cachent le pavillon qui est courbé dans le meuble. Le son est modulé en ouvrant plus ou moins les portes. Les gens écoutent leur musique assis, c’est une époque qui s’adapte aux mélomanes.

 
De manière contemporaine, les appareils portatifs voient le jour. Le pavillon est remplacé par un haut parleur, et l’appareil est placé dans une petite valise. Cela permettait aux gens à plus petits moyens de posséder une machine, ou bien ils étaient destinés aux enfants pour avoir la paix avec l’appareil de salon décrit précédemment.

C’est emportés par les chansons, le son et la voix de notre hôte que l’on a voyagé un instant dans ce parcours de l’invention des machines parlantes. Nous évoquons un moment la question des droits d’auteurs, de la reproduction, des questions très actuelles qui se posaient à l’époque et l’on repart riches de cette rencontre insolite et de ce beau voyage évocateur.

Tout cela pour vous enjoindre à découvrir ce joli lieu :
La Phonogalerie

10 Rue Lallier
75009 Paris
01 45 26 45 80

Et quelques pièces sont présentées aussi à l’exposition HEY! modern art & pop culture jusqu’au 4 mars 2013

Articles en rapport: