Dernièrement, votre très chère équipe rédactionnelle est partie en week-end à Manchester. Une tonne de personnes, avant, pendant et aussi après le voyage nous ont posé cette même question : "Mais euh, pourquoi vous allez à Manchester ?" (le nom de la ville étant prononcé avec une once de dédain). Ça nous paraissait assez évident, pourtant. On partait en pèlerinage musical. Mais cette réponse-là ne semblait pas satisfaire nos interlocuteurs. On a dû lancer le mot Factory. Mais ça ne suffisait toujours pas.
Alors si vous êtes tellement de gens à ne pas connaitre Factory Records, un des meilleurs labels qui ait jamais existé, il est de notre devoir de vous faire une playlist avec quelques groupes emblématiques de la maison mancunienne qui sorti des pépites de 1978 à sa mort circa 1992. C'est complètement non exhaustif. Si vous voulez vous renseigner davantage, on vous conseille vivement le film 24-Hour Party People qui -oh mais que vois-je ?- est disponible intégralement sur Youtube. Si vous avez la flemme, écoutez au moins les huit morceaux suivants tout en googlant : "Tony Wilson", "Rob Gretton", "madchester", "Peter Saville", "Martin Hannett" et "Haçienda". Bravo, vous avez une culture musicale.
Joy Division - "Digital"
FAC 2 (1978)
Evidemment vous connaissez Joy Division. Ça, c'est juste pour vous mettre en confiance quant à la suite de la playlist. Et ne comptez pas sur moi pour vous racontez l'histoire du groupe. C'est pas mon boulot. Vous devriez avoir fait ça depuis vos quinze ans au moins si tant est que vous vous cherchiez une quelconque crédibilité indie. "Digital" est une des premières chansons de Joy Division sous ce nom et sous l'égide du producteur Martin Hannett. Elle figure même dans la toute première sortie de Factory : A Factory Sample, une compilation sortie en 1978.
The Durutti Column - "Sketch for Summer"
FACT 14 (1980)
Sur cette première compilation de Factory, on trouvait aussi The Durutti Column, nommés d'après un anarchiste espagnol (Buenaventura Durruti) - trop con, ils ont voulu faire une référence pointue mais se sont ratés dans l'orthographe du nom du mec. Le line-up a souvent changé et au final on a fini par accepter que Durutti Column soit le projet solo de Vini Reilly. Ce type à la trogne pas possible, ancien membre des Nosebleeds, est considéré par ses pairs comme un putain de guitariste. Il a aussi le mérite d'avoir fait de la musique bien différente de ce que l'on trouvait à l'époque à Manchester. Son truc, à Vini, ce sont les arrangements hyper subtils et expérimentaux, comme dans ce morceau plutôt bucolique extrait du premier album du groupe. Vini Reilly fait encore des choses aujourd'hui, dont demander de l'argent à ses fans pour pouvoir payer ses dettes.
Section 25 - "Girls Don't Count"
FAC 18 (1980)
Ok, les frères fondateurs de Section 25 ne viennent pas de Manchester, mais de Blackpool. Mais c'est presque pareil, et leur son est clairement révélateur du pur style Factory des débuts. On appelait même ça "doom and gloom" (misère et ténèbres), ce qui est assez pertinent. Si "Girls Don't Count" sonne autant Joy Division, c'est peut être aussi parce que le single a été produit par Ian Curtis et Rob Gretton (leur manager). La pochette du disque, signée Peter Saville, était faite en papier calque et a bien coûté la peau du cul. Un peu plus tard, Section 25 ont mis des filles au chant, ont sorti les synthés, et complètement changé de son. Ça a plutôt bien marché : le single "Looking from a Hilltop" serait leur plus grand tube. J'aurais bien mis cette chanson aussi dans la playlist.
Stockholm Monsters - "Fairy Tales"
FAC 41 (1981)
Les Stockholm Monsters étaient de petits banlieusards (regardez, on dirait des bébés) qui ont totalement été oubliés, à commencer par leur propre label. Ils n'ont pas duré longtemps et n'ont fait qu'un album (Alma Matter, 1984), le temps de se rendre compte que personne n'allait jamais s'intéresser à eux. Pourtant, ils ont fait quelques trucs pas mal, dont "Fairy Tales", assez catchy avec son fluteau et ses clap-claps. Maigre consolation : Noel Gallagher a déclaré que c'étaient les Stockholm Monsters qui lui avaient donné l'envie de jouer de la musique. Putain.
A Certain Ratio - "I Need Someone Tonite"
FAC 72 (1983)
L'Histoire dit que Tony Wilson l'avait un peu mauvaise parce que Joy Division marchait bien, mais le groupe était managé par Rob Gretton. Il décida donc de se trouver SON groupe, et misa ses espoirs sur A Certain Ratio parce qu'ils avaient "la même énergie que Joy Division, mais en mieux habillés". Forcément, ça a quand même un peu moins marché, même si certains disent qu'ils ont été les précurseurs du mouvement baggy, car ils incluaient déjà du funk dans leurs morceaux. Pour le meilleur mais aussi pas mal pour le pire.
New Order - "Age Of Consent"
FACT 75 (1983)
Breaking news pour ceux qui croient que New Order n'est qu'un fantôme de Joy Division faisant joujou avec des synthétiseurs et donnant naissance à un tube putassier ("Blue Monday", FAC 73) : c'est aussi un vrai groupe avec de vrais morceaux. New Order est le groupe qui a ramené le plus d'argent à Factory (en fait il n'y a que trois formations qui ont fait gagner des thunes au label : New Order, Section 25 et Happy Mondays). On raconte même que c'est avec leur royalties qu'on aurait pu acheter l'Haçienda. C'étaient un peu des mécènes malgré eux, c'est cool. On ne sait pas trop ce que font les membres du groupe aujourd'hui, entre Peter Hook qui veut s'incruster partout et les autres qui disent qui font des concerts moyens et qui disent qu'ils vont sortir un truc et en fait non, trop chiant.
The Wake - "Talk About the Past"
FAC 88 (1984)
Ouais, ok, The Wake viennent de Glasgow et n'ont pas passé toute leur carrière sur Factory (ils ont migré vers Sarah Records ensuite, puis chez LTM), mais leurs deux premiers albums (Harmony et Here Comes Everybody) sont sûrement parmi les meilleurs disques jamais sortis sur le label mancunien. Bobby Gillepsie en a même fait partie un temps avant de partir pour s'occuper de Primal Scream. Le groupe s'est reformé il y a peu et a sorti un nouvel album, "A Light Far Out", l'année dernière, mais c'est vachement moins bien que leurs morceaux pop fragiles d'antan.
Happy Mondays - "Do It Better"
FACT 220 (1988)
En vrai, j'aime beaucoup plus les débuts de Factory que la fin. Tous ces baggys, l'acid house, l'ecstasy, je trouve que ça manque cruellement de subtilité. A l'image des Happy Mondays, qui ne faisaient pas dans la dentelle mais sont restés le dernier grand groupe de Manchester signé sur Factory. Ce sont aussi les Happy Mondays qui ont en partie coulé le label, qui comptait sur le groupe et leur quatrième album pour renflouer ses caisses - raté. Ah les petits branleurs.