En rentrant chez moi, je me suis demandée : Est-ce que c’est moi qui suis sensible ou alors, à l’instar de la méditation pendant la vaisselle – oui, parce que je ne sais pas pour vous, mais je médite pendant que je fais la vaisselle –, nous méditions pendant que nous faisons les courses ? Et surtout, sur quel argumentaire les marketeux se permettaient de générer des enrobages musicaux pour les supermarchés ? Parce qu’en effet, à l’instar des musiciens du métro – plus ou moins bons, d’ailleurs –, il est jugé nécessaire depuis les années 1970 d’intégrer des illustrations musicales dans les lieux publics comme les supermarchés pour atténuer les bruits de la foule.
Selon un postulat de départ, l’illustration sonore dans un supermarché se doit d’être neutre, passe-partout. Par conséquent, il est malvenu de passer de la musique rythmée ou à forte dominante de larsens comme certains styles d’électro – on verra plus tard que la dance est cependant tolérée – ou le rock un peu trop violent. Sur ce point, je trouve cela dommage : j’imagine très bien faire mes courses sur du heavy metal, mais le speed me ferait faire des courses de chariot avec les autres clients.
Autre postulat, l’illustration musicale fait partie intégrante de la stratégie d’achat. C’est d’ailleurs impressionnant à l’approche de Noël de voir comment Jingle Bells est adopté dans TOUTES les orchestrations qui soient (tradi, jazz, dubstep, etc…) pour mettre les clients dans l’ambiance marrons, foie gras, champagne et chocolats. Moi-même étant dans l’organisation d’un marché de Noël tous les ans le dernier week-end de novembre, je sais l’importance que revêt un coup de Tino Rossi dans les esgourdes pour ambiancer la mémé qui achète ses petits sablés…
Par contre, on a pu observer une évolution notable dans l’illustration musicale des supermarchés depuis leur démocratisation il y a 40 ans. Au début, il y avait des compositeurs spécifiques qui saupoudraient les oreilles des ménagères d’easy listening qui, écoutée hors contexte, devenait risible. D’où une certaine image persistante de la musique de supermarché gnan-gnan, limite neuneu. Mais depuis une quinzaine d’années, les grandes enseignes prennent le pari de prendre des tubes – mais attention, pas des tubes de djeunes, plutôt la programmation de Chérie FM – pour éviter que le consommateur se retrouve à se faire chier avec le crissement des pneus de chariot. Pour le coup, c’est moins stressant.
C’est pour cette raison précise qu’on se retrouve à écouter du Natasha St-Pier, du Hélène Ségara, plus récemment du Adèle quand on va acheter son cassoulet. J’ai également remarqué que les marketeux qui fabriquaient les illustrations musicales de supermarché privilégiaient davantage les chanteuses, peut-être parce qu’une voix féminine influençait davantage le consommateur, voire la consommatrice qui se sentirait comme dans un univers familier où elle serait elle-même en train de chanter. Et oui, même en 2013, c’est censé être encore la femme qui fait les courses, youpi.
Je me demande au final si le fait d’écouter de la musique pendant qu’on fait ses courses fait partie de ces quasi-automatismes de l’ère post-moderne. En gros, serait-on tellement imprégnés de musique au point de ne même plus y faire attention ? Serais-je donc la seule à danser le samba devant le rayon frais du Monoprix de la Gare du Nord quand passe Gilberto Gil ? Si tel est le cas, si la musique est tellement imprégnée dans nos mœurs au point de ne plus s’apercevoir quand on l’intègre de manière insidieuse dans les tâches de notre quotidien, elle perd irrémédiablement de sa beauté. C’est pour cette raison que j’ai toujours pesté contre la musique de supermarché.