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La Ville de Belfort a placé 2013 sous le signe du poète Léon Deubel (1879-1913). Francis Decamps et le groupe Gens de la Lune préparent un opéra rock pour célébrer le dernier des poètes maudits.
Des bruits d’eau, des chants d’oiseaux, des cloches, un solo de guitare et des nappes d’orgue, la lumière se pose sur la scène. Le premier des douze tableaux de l’opéra rock s’ouvre sur la naissance du poète. On reconnaît tout de suite la patte musicale de Francis Decamps l’ancien organiste d’Ange et actuel leader du groupe Gens de la Lune.
Mais avant d’en arriver là et aux deux premières du spectacle, prévues les 19 et 20 décembre au théâtre du Granit de Belfort, le musicien travaille sur un projet né voici près de six mois.
Découvrir un écrivain
« La première fois que j’ai entendu Robert Belot, l’adjoint à la culture de Belfort, me parler de Léon Deubel, c’était pour mes 60 ans et le concert des Gens de la Lune, mon groupe, au Fimu, explique Francis Decamps. Robert a alors lancé l’idée d’un opéra rock autour du centenaire du poète belfortain… À vrai dire, je ne le connaissais pas… »
Après un été studieux passé à se documenter et à éplucher le fonds Deubel de la bibliothèque municipale, Francis Decamps a changé sa vue des choses.
« Léon Deubel est plus qu’un poète maudit, poursuit le musicien. C’est quelqu’un de très intéressant, à l’écriture très riche. Il a côtoyé Apollinaire, Pergaud et Varèse. »
Derrière la bohème
Reste l’image de l’homme de lettres. « C’est un peu, il faut bien le reconnaître au premier abord, un Monsieur catastrophes : le poète maudit, la bohème, la misère jusqu’au suicide. Mais Deubel, ce n’est pas seulement ça. C’est un artiste avant tout. Il avait créé aussi sa revue à Paris, « L’Île sonnante », et y a publié les premiers textes de Louis Pergaud, son ami. Des textes de Deubel ont été mis en musique par le jeune Edgar Varèse, le grand compositeur franco-américain… Deubel est loin d’être un histrion. »
Ainsi, depuis juillet 2012, Francis Decamps s’est plongé dans l’univers et la vie du poète belfortain. Et le spectacle qui racontera sa trajectoire et son œuvre sous la forme d’un opéra rock sera immortalisé en un double CD.
Aussi, le travail de l’ex-compositeur d’Ange avance à grands pas. « Je suis à la moitié de l’œuvre, reprend Francis. Une grande partition pour groupe de rock, les Gens de la Lune, avec une dizaine de cordes tenues des grands élèves et professeurs du conservatoire belfortain et deux percussionnistes. »
Dans le secret de son studio son installé au pôle Numérica, aux Portes du Jura à Montbéliard, Francis Decamps fait chauffer son Atari 1040 S, l’ordinateur qui pilote ses machines électroniques et autres claviers. Et la maquette a déjà beaucoup d’allure. On reconnaît la patte de l’ancien Ange, sa manière de faire sonner guitare basse et batterie et les nappes d’orgue pour polir ce son des années 1970.
Côté textes, l’opéra rock sera construit dans l’esprit du slam, avec des textes de Francis déclamés et également des extraits de poèmes de Deubel lus par Jean-Philippe Suzan, le chanteur des Gens. « Le premier tableau traite de la naissance du poète à Belfort et est illustré par un poème d’adolescence, il avait 20 ans, qui raconte le quotidien auprès de sa mère, les bruits familiers du foyer. »
Retour sur une sensibilité plus rock, bien que progressiste, avec les textes de Francis Decamps, une autre façon de camper le poète : « Brillant embryon d’un amour pathétique, le fœtus d’une mère érogène… » Une écriture clairement revendiquée « rude » et « puissante », à l’image finalement de la poésie de Léon Deubel.
Le final de l’opéra réservera un effet de surprise dû en partie aux instruments employés. « J’ai pensé que, pour illustrer son acte désespéré, Deubel s’est jeté dans la Marne et son corps a été repêché sans vie. Il fallait utiliser des instruments peu usités pour créer un climat nouveau et une sorte d’ouverture vers d’autres univers, celui du paradis des poètes probablement. »
Une tournée de création
Pour ce faire, on entendra une curieuse lutherie : un Haken Continuum, sorte de clavier sans touche, sensitif, utilisé par le compositeur Jordan Rudess, un Handpan Drum, des percussions en forme de cloche métallique, ou encore une Guitara, sorte de guitare sans cordes.
Et comme cet opéra rock autour de la vie et l’œuvre de Deubel sera soutenu par le Granit, scène nationale de Belfort, une tournée suivra la création à Belfort. « Nous souhaitons jouer dans les villes qui ont vu passer Deubel : à Baume-les-Dames où il était au lycée, à Besançon (Deubel y a vécu un an à l’hôtel), à Arbois et pourquoi pas à Florence en Italie, là où le poète a séjourné. »
Lorsque le rock célèbre un poète, c’est forcément un voyage musical qui s’ouvre avec Francis Decamps.
À ÉCOUTER Les 19 et 20 décembre à Belfort. Au théâtre du Granit création de Gens de la Lune et Francis Decamps