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Frankito : L'homme pas dieu

Par Gangoueus @lareus
Albert Gouty est un trentenaire accompli roulant sa bosse sur la terre qui l'a vu naitre : La Guadeloupe. Il est le second d'une fratrie antillaise. Il a réussi de brillantes études en métropole et il enseigne les sciences physiques dans un grand lycée de Pointe-à-Pitre. Il a une belle maison. Il est plutôt bien bâti, 1mètre 85, 76 kilogrammes de muscles. Il n'est pas à plaindre et possède une très haute opinion de lui-même sans pour autant être porté par une ambition autre que de profiter de la vie et en particulier des femmes. Casanova est petit.
Frankito : L'homme pas dieu
Le roman commence quand des babylones (*) défoncent brutalement la porte de sa coquette demeure pour mener une perquisition et une arrestation viriles. La tête sous la godasse crottée du babylone (je reprends l'expression de Frankito pour vous mettre dans l'ambiance) Albert commence une narration avec une tonalité dont il ne démordra pas jusqu'à la fin de ce roman. Ecoutons-le :
Imagine-toi le réveil, sauvage, le pied du gros babylone dans la gueule : Police, personne ne bouge !L'épaisse botte noire lustrée avec une semelle de caoutchouc dur sur la joue que ta maman t'a donnée, sur les lèvres que ta mère a portées neuf mois durant dans son ventre, merveille des merveilles, suceuses de bières Corsaire et de tétons mordorés.  A 5 heures du matin, chez moi, dans mon nid, dans mon île, le gros Blanc vient mettre son pied en travers de ma face de nègre. Et le pire, c'est qu'à l'entrée de la maison, ou peut-être à la sortie de la caserne, ou à l'intérieur même du fourgon blindé, qui sait? le représentant armé de la mère patrie bienveillante, qui fout sa godasse à bouts ferrés dans la tronche, a marché dans un caca chien.
 Page 1, édition Écriture.
Albert Gouty est accusé d'une série de meurtres qui vont le sortir de sa zone de confort. Il se dit innocent mais les meurtres touchent des personnes qui lui sont plus que chères. Il va nous livrer ses états d'âme entre évolution de l'enquête et différentes associations d'idées que les errements de son esprit bousculé vont générer. Par ce biais et par la description de différentes figures de son entourage, que ce soient les victimes, ses amis, sa famille, ses collègues il dresse à chaque fois des portraits qui révèlent la complexité des rapports sociaux sur ce bout de France dans les Caraïbes. Le rapport aux forces de l'ordre, la xénophobie envers les haïtiens et les dominicains, la place du béké, la drogue, le racisme, les grèves contre la pwofitasyon etc. Cette liste n'est pas exhaustive. Mais l'important est de montrer ici que Franck Salin, pardon, je voulais dire Frankito à la manière d'un photographe prend le temps de zoomer sur des situations extrêmement violentes et douloureuses en les rendant accessibles par la gouaille et le détachement du narrateur. Et c'est réellement là, le tour de force réussi de mon point de vue. User du rire gras pour désamorcer les effets d'une dénonciation,  pour initier une introspection. Frankito, qui n'est pas un attaquant de football brésilien ou un défenseur portugais apporte énormement de nuances dans son propos. Aussi, ce livre peut réellement être mis entre toutes les mains, loin de postures vindicatives souvent reprochés aux iliens, il met le doigt sur l'immobilisme, le manque d'ambition de celles et ceux qui aujourd'hui se contentent de se laisser vivre comme Albert Gouty.
Mais tout cela a un prix et Gouty va en sentir tous les  effets.
Un dernier mot sur le style que vous avez ressenti par l'extrait proposé. Maryse Condé parle d'un nouveau son. Je crois que cette affirmation est assez juste. Même si je ne prétends pas connaitre la littérature antillaise, il y a dans l'écriture de Frankito un style qui me semble nouveau et qui se démarque d'un discours des pères de la créolité littéraire. Il y a du Iceberg Slim, chez lui, un langage parfois un peu trash, et une volonté de porter plus un discours vrai et proche de ses personnages que de se lancer dans de longues tirades ayant pour objectif de démontrer qu'on sait écrire.
C'est un polar. Ne l'oubliez pas. Frankito, aussi ne l'oublie pas même si parfois les états d'âme de son personnage cogiteur sont sur certaines séquences un peu décalés avec les défis et l'action auxquels il est confronté.
Mon coup de coeur de cette fin d'année. Bonne lecture !
Frankito, L'homme pas dieuEditions Ecriture, 237 pages, paru en 2012(*) policiers selon Frankito

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