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Les hasards de la vie universitaire me conduisent cette année, de temps en temps, du côté de Menton. Après quatre heures de cours, la nuit est déjà tombée quand je reprends la route ou plutôt l’autoroute pour rentrer sur Nice.
Rituellement, je m’arrête quelques minutes pour décompresser sur la dernière aire un peu avant La Turbie. Et là, immanquablement, l’image de cette banale station Esso et de sa supérette me plonge dans l’atmosphère un peu irréelle de l’œuvre d’Edward Hopper « Gas », croisée il y a quelques années au MoMA de New York. Autre époque (le tableau date de 1940), autre lieu (la Nouvelle-Angleterre), mais l’émotion est la même. Le paradoxe étant que l’onirisme discret qui se dégage de la scène vécue comme de la peinture trouve ses racines dans la banalité de bâtiments sans grâce et d’objets inesthétiques en soi émergeant d’une obscurité indéfinie.
Il ne s’agit pas de sublimer le banal mais de se rappeler que l’extraordinaire est au cœur de l’ordinaire et que ce dernier n’a rien à voir avec le connu. Ce que Stanley Cavell appelle « l’inquiétante étrangeté de l’ordinaire ». Une inquiétude féconde. Alors, pourquoi ne pas plonger ? de temps en temps.