Droits d’auteur, droits d’ôteur ?

Publié le 05 décembre 2012 par Réverbères
Au jour d’aujourd’hui, les droits d’auteur semblent bien obsolètes pour pas mal de gens. Beaucoup perçoivent ceux-ci comme une entrave à leur liberté d’utilisation de tout ce qui se crée et se diffuse. Les auteurs ne seraient alors que des « ôteurs » de plaisir qui viendraient ennuyer leur monde avec leur souci d’être protégés et rémunérés pour leur travail !
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les droits d’auteurs sont avant tout – outre l’attribution intellectuelle d’une production à son créateur – des droits financiers qui permettent à ceux qui créent une œuvre – que celle-ci soit musicale, littéraire, plastique, gestuelle, etc. – d’être rémunérés pour leur travail. Les créateurs sont des gens comme tout le monde : ils ont besoin d’argent pour vivre. Leur travail est de créer. On peut bien sûr penser que c’est en l’occurrence un travail bien agréable. Ce l’est sans doute dans la plupart des cas. Mais le plaisir lié à la création n’enlève rien à la nécessité pour l’auteur de se nourrir d’autre chose que d’amour et d’eau claire.
Le droit d’auteur, conçu dans sa forme actuelle par Beaumarchais, permet de satisfaire ce besoin. Certains droits sont directement liés à la vente du produit créé : l’auteur d’un livre touche un certain pourcentage des ventes qui en sont réalisées. Mais pour les droits liés à la diffusion, à l’utilisation et à la reproduction des œuvres, c’est plus complexe : l’auteur ne peut en effet pas être derrière chaque utilisateur. Des sociétés de gestion des droits d’auteurs ont donc vu le jour, comme la SABAM en Belgique, la SACEM en France et d’autres sociétés liées plus étroitement à certains types de création. Ces sociétés sont chargées de récolter l’argent auprès des diffuseurs, utilisateurs et/ou reproducteurs, puis de le redistribuer aux différents auteurs. Le principe est simple et sain, même s’il faut reconnaître que tout n’est pas toujours parfait dans le mode de fonctionnement de ces sociétés. Enfin, il y a aussi des droits qui sont retenus au niveau des sources de diffusion ou de reproduction. C’est ainsi que lorsqu’on achète un CD vierge ou une imprimante, on paie une certaine somme qui ira aux auteurs, car le CD vierge est susceptible d’être utilisé pour y graver des œuvres protégées tout comme l’imprimante est un moyen de reproduire des documents protégés.
Mais tout cela est largement remis en question. Aujourd’hui même, 5 décembre 2012, le collège des commissaires de la Commission européenne s'est réuni pour discuter du droit d’auteur avec un risque important de voir augmenter le nombre d’exceptions aux droits des auteurs. À l’ère du numérique, tant les utilisateurs que les producteurs de machines souhaitent en effet pouvoir se passer, non pas des auteurs, mais des droits qui leur reviennent. C’est clair du côté de l’utilisateur, par exemple de chansons. Même sans être « pirate », tout le monde trouve normal de visionner – voire de télécharger – gratuitement sur le net des tas de chansons d’artistes qui ne touchent pourtant en échange pas le moindre sou. C’est aussi clair pour les lobbies de producteurs (constructeurs d’imprimantes ou de photocopieuses, gestionnaires de câble TV, fournisseurs d’accès internet, moteurs de recherche, etc.) qui font tout pour ne pas devoir inclure dans leurs prix une juste rétribution des auteurs.
Si on n’y prend pas garde, on se retrouvera dans une situation où la plupart des auteurs n’auront plus aucune rémunération de leur travail de production. Cela n’empêchera évidemment pas la création, car celui qui sent qu’il doit créer crée. Mais peut-on souhaiter en revenir au seul mécénat pour arriver à faire vivre de leur art quelques rares créateurs, alors que le concept et les outils du droit d’auteur existent et ont montré tant leur efficacité que leur équité ?
Cela ne veut pas dire que le droit d’auteur doit être considéré comme une institution figée et immuable. Au contraire, il doit démontrer sa capacité à s’adapter aux nouvelles réalités numériques de la création et de la diffusion. À cet égard, les licences d’exploitation donnant aux auteurs une plus grande liberté de décider eux-mêmes des conditions d’accès et d’utilisation de leurs œuvres sont des voies prometteuses pour dynamiser le concept même de droit d’auteur en congruence avec les réalités du 21e siècle. Les possibilités de « copyleft », par opposition au « copyright », sont nombreuses et doivent être développées.
Néanmoins, si le résultat final débouchait sur l’absence de toute rémunération, on courrait non seulement le risque de perdre de nombreuses créations, mais de plus cela réduirait les auteurs à de simples « machines à créer » des biens de consommation sans qu’ils en perçoivent les fruits, si ce n’est bien sûr le « plaisir intellectuel ». Ah, ça leur ferait assurément une belle jambe ! Si vous trouvez aussi que ce serait bien dommage d’en arriver là, pourquoi ne pas signer une pétition visant à faire entendre les droits des « ôteurs » !