Visitant Art Paris (qui a fermé hier), je ne savais pas trop sur quoi écrire : ni sur la foire elle-même, ses chiffres, son succès (ou pas), ses prix, ses people; ni sur tel ou tel artiste vu dans les stands avec plus ou moins de constance. De belles pièces ici et là, mais rien qui ébahisse. Faire un palmarès ? Ecrire sur Duchamp, Erro, Rutault, omniprésents ? Sur les innombrables chinoiseries de qualité variable ? Sur les thèmes pré-mâchés par le communiqué de presse : “Questions de territoire, Accords de corps, Engagements et société” ? Je n’étais pas très inspiré.
Jusqu’à la découverte de l’espace Traversées, dédié à de jeunes artistes venant du monde arabe.
C’est sans doute que je cherchais un peu de cohérence, un endroit où, pour les oeuvres, il n’y ait pas seulement juxtaposition, mais correspondance, écho et montage. Il y a là 25 artistes; 17 d’entre eux se définissent par deux pays - l’un arabe, l’autre occidental -, deux résidences : déjà un pont entre deux mondes, une traversée.Droit devant, cette sculpture de Mounir Fatmi, Babel House /Empire reprend les cassettes vidéo d’un noir luisant vues à la FIAC, mais les élève jusqu’au ciel. Cette tour ornée de drapeaux noirs sur des manches à balai géants pourrait bien être un bûcher, la ruine des ambitions humaines. Un panneau gît à terre, comme si son porteur avait été terrassé, s’était évanoui : “Those who can still dream do not sleep anymore” : une phrase d’apocalypse, de fin du genre humain. Comme souvent avec Fatmi, une oeuvre énigmatique, inquiétante et poétique, dont la force éclate au visage. Traversée incertaine.
Parmi les vidéos, la plus étrange est celle de l’Irako-Finlandais Adel Abidin (remarqué à Venise cet été) où des fourmis s’ataquent à une mosquée en sucre : rituel, destruction, communion ?
Plusieurs des pièces présentées ont à voir avec le visage et le voile, que les portraits soient masqués (Karima Al Shomaly), cachés (Halim al Karim), montrés derrière des feuilles plus ou moins transparentes (Buthayna Ali). Les photos ambiguës de la Tunisienne Meriem Bouderbala (ci-contre) montrent des corps qu’on ne peut que deviner, des chairs à peine entrevues, des formes contournées mais dissimulées, des fantômes à la Clérambault, qui intriguent, émeuvent, dérangent et charment à la fois. Ce sont des photos devant lesquelles on peut longtemps rester, pris entre hier et aujourd’hui, entre là-bas et ici, entre attrait et crainte. Une belle découverte. Traversée sensuelle.
Enfin, parmi d’autres, cette belle composition de Kader Attia, Rochers carrés, montre les blocs brise-lames du port d’Alger où les jeunes teneurs de mur viennent rêver à l’autre rive. Traversée impossible.Loin d’une approche trop étroitement politique ou communautariste, c’est un bel échantillon (pas un panorama) de ces artistes qui traversent entre deux mondes, rendant l’un intelligible à l’autre, bâtisseurs de passerelles.
Photos de l’auteur. Mounir Fatmi étant représenté par l’ADAGP, la photo de sa pièce sera retirée dans un mois.