En effet, contrairement aux pays occidentaux, la Chine n’a pas subi directement les conséquences de la crise financière et économique qui a éclaté en 2007. Elle avait déjà accumulé jusque-là une richesse sans précédent, la plaçant en seconde puissance économique mondiale. En 2011, l’excédent commercial s’élevait à 155,14 milliards de dollars. Ce surplus de richesse lui a permis d’investir dans d’autres pays tels que les Etats-Unis. Ainsi la Chine détiendrait 8% de la dette américaine. Pour le président de l’agence Dagong, les agences Moody’s, Fitch et Standard & Poors continuent d’attribuer la note maximale aux Etats-Unis alors que, toujours selon lui, la capacité de ce dernier à rembourser sa dette est de plus en plus faible. On note bien de la part de Guan Jianzhong une certaine amertume à l’égard des agences de notations anglo-saxonnes et du principal rival de la Chine, le pays de l’oncle Sam. De surcroit, toujours selon le président de Dagong, il existe des différences de traitement entre la crise aux Etats-Unis et la crise en Europe (3).
- Une agence de notation avec une nouvelle vision du monde
Au-delà du cas particulier des Etats-Unis, le directeur de l’agence de notation chinoise reproche aux Big Three (4) de se focaliser essentiellement sur des critères politiques qu’elle qualifie même d’idéologiques tels que le degré d’ouverture à l’étranger ou encore le régime politique. Clément Lacombe, journaliste économique au Monde, explique qu’ « en Russie dans la fin des années 1990, il y a eu des débats entre les agences de notation au sujet de la notation au sujet du groupe pétrolier Ioukos qui était le grand groupe pétrolier de l’époque et qui présentait des résultats absolument fabuleux, une dette très faible etc…seulement il était en Russie, et à tout moment l’Etat peut décider de nationaliser les entreprises, il y avait donc un risque politique derrière » (5). On peut donc se demander si cette même société aurait obtenu la même note avec l’agence Dagong. A cela, nous pouvons ajouter que Dagong se distingue de ses concurrents par ses notations souvent moins bonnes que les anglo-saxonnes à l’égard des Etats-Unis et des pays de l’Union Européenne. Par exemple, la France obtient avec Dagong « A+ » alors que S&P lui attribue un « AA+ » sachant que les deux agences utilisent une grille de notation similaire. En outre, si l’on se focalise sur les méthodologies employées, Dagong cherche à se différencier de ses principaux concurrents par l’emploi beaucoup plus marqué de critères quantitatifs et particulièrement ceux concernant la création de valeur des économies. Dagong revendique une philosophie qui intègre le « potentiel de croissance des pays » (6). C’est pourquoi les économies émergentes, en forte croissance, obtiennent des notes supérieures aux européennes, en stagnation.
Dagong est l’unique agence de notation à disposer de capitaux 100% chinois. C’est également la seule agence non-occidentale à avoir émergé sur le marché de la notation. Malgré une volonté clairement affichée d’expansion de Dagong, cette dernière est entravée par de nombreux obstacles. L’agenceest suspectée d’entretenir des relations avec l’Etat chinois depuis sa fondation alors que son directeur prétend diriger un organisme privé et indépendant. Plusieurs arguments viennent appuyer cette thèse : Dagong a été fondée par des institutions étatiques et détient des partenariats avec la Banque populaire de Chine (7) et Xinhua, l’agence de presse chinoise très proche du pouvoir. Cette suspicion de lien tissé avec l’Etat chinois l’empêcha d’obtenir, en septembre 2010, l’accréditation de la Security and Exchange Commission (SEC), l’organe de contrôle et de régulation des marchés financiers américains. Ce refus de la SEC découle du fait que l’agence chinoise ne se conforme pas aux exigences des lois fédérales en terme de tenue de dossiers, de production et de contrôle. Or une agence qui ne dispose pas du statut Nationally Recognized Statistical Rating Organization (NRSRO), aura beaucoup plus de difficultés à se développer au niveau international puisqu’elle ne sera pas prise aux sérieux par les investisseurs internationaux.
- L’ambition de Dagong
Selon son président, Dagong a la « volonté de devenir une agence mondialement respectée et reconnue par le marché lui-même »(8). D’une part, dans un contexte de crise économique, la Chine semble encline à investir de plus en plus dans l’Union Européenne (UE) puisque celle-ci est la première terre d’exportation chinoise. Une diminution de la consommation européenne pourrait entraver inéluctablement sa production et donc son économie. D’autre part, il semble également pertinent de remarquer que nous sommes dans une période où l’endettement est devenu une quasi-norme dans notre société, surtout au sein de la zone euro. La notation financière représente un enjeu essentiel tant pour les Etats que les pour entreprises. Cette dernière peut avoir une influence sur la capacité d’emprunt, les dépenses, les recettes ainsi que le rayonnement à l’étranger de l’Etat ou de l’entreprise en question. Elle a donc un rôle non-négligeable. Ainsi, si la Chine a pour ambition d’investir en Europe par le biais des dettes, ce qu’elle fait d’ores et déjà, ce choix semble balancer en la faveur de Dagong. En faisant le choix stratégique d’investir en Europe, le gouvernement chinois préservera ses exportations, et permettra à l’agence Dagong de bénéficier d’une plus grande aura dans le périmètre de la zone euro voire même de l’UE. Ainsi, la vision du monde par Dagong aura peut-être plus d’impact que les Big Three, qui elles de plus, n’ont pas su prédire la crise des subprimes. Par ailleurs, pour remédier à une présence peu marquée d’analystes en Europe, l’agence de notation chinoise a la volonté de s’implanter physiquement sur cette zone qui reste dominée par Moody’s, Ficth et Standard & Poors.
Le 23 Octobre 2012, Dagong annonce sa fusion avec l’agence de notation russe, Rusratin, et l’agence américaine, Egan Jones, introduisant ainsi officiellement une véritable stratégie d’internationalisation. Rusrating a été créée en 2001 et Egan Jones en 1995. Cette dernière fut spécialement conçue pour minimiser les possibilités de conflits d’intérêts dans la notation de crédit comme le souligne le New York Times. De plus, à la différence de Dagong, Egan Jones est reconnu par le « label » NRSRO qui la place comme l’unique agence de notation a être soutenu exclusivement par les investisseurs, à la différence des Big Three. Au nom d’Universal Credit Rating Group, l’agence, qui aura son siège établi à Hong Kong, a pour objectif de promouvoir un système international de supervision de la notation de crédits qui diffusera à travers le monde des notes impartiales (9). L’ambition d’Universal Credit Rating Group est d’établir de nouveaux critères internationaux de notation financière à la fois d’une manière innovante, technicienne, désintéressées et objectives. La création d’une nouvelle agence atténuera les suspicions de manque d’objectivité de Dagong. Reste à savoir si les notes, qui seront attribuées, seront le fruit d’un compromis ou pas. Dans tous les cas, une chose est sûre, Universal Credit Rating Group aura, elle, sa propre vision du monde.
Manon Vermenouze
1. la Société chinoise de banque et de finance, l’Académie des sciences sociales de Chine, le Comité scientifique et technologique de l’aéronautique et de l’astronautique chinoises, le Centre de recherche sur le développement du Conseil d’État, l’Association des entreprises chinoises, l’Association de management des entreprises chinoises et l’Université de commerce international.2. GRACIET Catherine, « Interview de Guan Jianzhong, PDG de l’agence chinoise de notation Dagong », L’actuariel, magazine professionnel de l’actuariat, 26 octobre 2011,http://www.les-crises.fr/interview-guan-jianzhong/, [consulté le 20 octobre 2012].
3. CHINE PLUS : la revue de presse, Dette : la vision de la Chine, 30 avril 2012, interview, 3 min 30, http://www.chine-plus.com/videos/2012/0430/74.shtml [consulté le 20 octobre 2012].
4. Expression désignant Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s.
5. Entretien avec Clément Lacombe, Le Monde, Mars 2012.
6. GRESILLON Gabriel, « Le chinois Dagong veut jouer dans la cour des grands », Les Echos, 23 octobre 2012, HTML, [consulté le 23 octobre 2012].
7. La Banque populaire de Chine est la banque centrale de la République Populaire de Chine.
8. GRACIET Catherine, « Interview de Guan Jianzhong, PDG de l’agence chinoise de notation Dagong », L’actuariel, magazine professionnel de l’actuariat, 26 octobre 2011,http://www.les-crises.fr/interview-guan-jianzhong/, [consulté le 20 octobre 2012].
9. Rusrating, Establishment of a Multilateral, Independent, International Credit Rating Agency by Three Sponsors from China, USA and Russia, 24 octobre 2012, Company news.