Faire face aux défis environnementaux : les biocarburants sont-ils hors de tout soupçon ?

Publié le 21 décembre 2012 par Greendriver

20 décembre 2012, Bogor, Indonésie.

Au début du 21ème siècle, le monde scientifique et économique semblait unanimement optimiste quant au potentiel des biocarburants à renforcer la sécurité énergétique, à réduire les émissions de carbone et améliorer les moyens de subsistance en milieu rural en créant de nouveaux marchés. Mais les récentes études menées par le Centre International de la Recherche Forestière (CIFOR) dressent un tableau plus sombre quant aux impacts sociaux et économiques résultant de la production industrielle de ces biocarburants, que ce soit à grande ou à petite échelle.

Dans de nombreuses régions du monde, seule une petite proportion de la déforestation est en fait imputable au secteur des biocarburants. En effet, les cultures du soja et de l’huile de palme, qui sont les plus coupables en matière de déforestation, et qui servent à la production des biocarburants, alimentent en fait massivement les marchés de l’alimentation.

« La mesure de l’impact des biocarburants sur la déforestation est difficile à mesurer dès lors qu’il dépend à la fois de la loi de l’offre et de la demande, et du type de culture dont on parle », a déclaré Pablo Pacheco, un scientifique du CIFOR lors de la deuxième conférence mondiale sur la recherche agronomique pour le développement (GCARD2) qui s’est tenue en Uruguay en novembre dernier.

« C’est parce que les matières premières utiles à la production des biocarburants ne sont pas exclusivement cultivées dans ce but. Souvent, seule une petite partie de ces cultures est dédiée au marché des biocarburants. Mais on ne saurait toutefois nier les coûts environnementaux des biocarburants dans de nombreuses régions du monde », ajoute t-il.

En effet, selon les parties du monde, l’impact des biocarburants varie énormément, en fonction de la façon dont y sont développés les marchés, et dont sont exploitées les terres sur lesquelles on cherche à développer leur production. Par exemple, l’impact des biocarburants sur la déforestation est plus important en Indonésie où l’on cultive l’huile de palme à échelle industrielle qu’au Brésil, on l’on cultive le soja.

Un récent rapport du CIFOR présente les conclusions d’une recherche de trois ans qui a tenté de répondre à ces nouvelles questions écologiques, mais également sociales. Car il faut noter que l’augmentation de la production de biocarburants à bouleverser les marchés des matières premières en question. Aussi, le CIFOR réclame la mise en place de règlements plus stricts pour les grands producteurs, ainsi qu’un soutien financier accru aux petites exploitations pour les aider à accéder plus facilement à ces nouveaux marchés commerciaux.

Commençons toutefois par quelques points positifs. Cette étude a en effet montré que les travailleurs des plantations industrielles au Brésil, en Malaisie et en Indonésie ont fait part de l’amélioration de leurs conditions de vie depuis qu’ils prennent part à ce nouveau marché. Ils ont pour la plupart un emploi stable qui leur permet d’accéder plus facilement qu’auparavant aux services sociaux. Cependant, le nombre de nouvelles personnes employées reste faible. Ce manque de travail et de revenu se fait sentir fortement dans les zones rurales, d’où l’importance de valoriser les petits producteurs pour leur permettre d’embaucher plus facilement et à long terme.

À cela s’ajoute alors le problème de la propriété foncière. De nombreux petits producteurs dans le besoin ont ainsi revendu leur terre aux grosses industries des biocarburants. Dès lors, ils ne sont plus maître de leur production… Au Ghana, en Zambie et en Indonésie par exemple, les producteurs qui ne disposent plus de leur terre ne peuvent désormais plus y cultiver de riz, alors même que cela leur permettait de s’alimenter correctement avant de signer le contrat de cession. Ils sont désormais obligés de se consacrer entièrement à la production de soja ou d’huile de palme.

De même, 55 à 79 % des travailleurs indonésiens interrogé ont signalé une augmentation de leurs revenus après ces cessions foncières, de même qu’en Malaisie la situation des employés agricoles s’est amélioré. Néanmoins, ils sont désormais entièrement dépendants du cours de l’huile de palme…

La situation globale des petits producteurs mondiaux est donc loin d’être stabilisée. Le prix des terres a augmenté et les agriculteurs des pays défavorisés se plaignent du fait que les domaines sont désormais concentrés dans les mains d’une minorité de riches industriels – qui profitent largement de cette nouvelle vague des biocarburants.

Cette situation discutable qui génère de nombreuses inégalités entre petits et gros producteurs, c’est l’Union européenne et les Etats-Unis qui semblent (malgré eux?) l’avoir déclenchée. Il y a quelques années, les deux puissances mondiales avaient en effet attribué des aides pour encourager la production des biocarburants et l’essor des énergies renouvelables. Cela partait d’un bon sentiment…

« Au début, on pensait que la bioénergie allait permettre d’atténuer les changements climatiques en réduisant les émissions de gaz à effet de serre », déclare Andrew Wardell, directeur de recherche au CIFOR. « Mais au cours de ces cinq dernières années, de nombreux problèmes sont ensuite apparus, tant sur le plan écologique que social ».

D’une part, le phénomène de la déforestation s’est largement aggravé, pour créer de nouvelles plantations de palmier à huile, de canne à sucre, de soja et de maïs, matières premières nécessaires à la production des biocarburants. Ce que l’on gagne d’un côté, on le perd finalement de l’autre… Si les voitures sont moins polluantes, les forêts, nécessaires à l’absorption du CO2 se réduisent chaque jour davantage…

Le 17 octobre dernier, l’UE a alors publié une série de règles pour tenter d’endiguer ces émissions indirectes de gaz à effet de serre.

« Niveau climat, une partie de la production des biocarburants, subventionnés par l’UE, est aussi nocive, sinon pire, que les combustibles fossiles qu’ils remplacent », montre Connie Hedegaard, commissaire européenne pour l’action climatique.

Des mesures sont actuellement en train d’être prises par plusieurs associations et collectifs pour empêcher l’UE de continuer d’inciter l’expansion des cultures de ces matières premières.

Et pourtant, comme le souligne le CIFOR, ces cultures alimentent encore essentiellement les marchés alimentaires… Le problème reste complexe…

Il faudra encore analyser de manière plus précise au cours de l’année prochaine cette question, afin d’avoir de meilleures estimations sur les tendances de l’offre et de la demande… et réfléchir sur la légitimité de produire des produits écologiques sans souci écologique…

http://blog.cifor.org/13328/how-to-address-new-biofuel-challenges-when-impacts-on-environment-and-society-are-mixed/#.UNRuS2_8KSp