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Le bruit du monde pour Nadir Dendoune

Publié le 01 février 2013 par Lecridupeuple @cridupeuple

Par Mes Petites Fables Angelina

C’est une histoire comme « le tocard », surnom qu’il s’est lui-même attribué sur Facebook où il publie ses chroniques quotidiennes, aime les raconter. Mais jeudi 31 janvier au soir, les sourires étaient grinçants. Les dernières péripéties du journaliste Nadir Dendoune, originaire de Saint-Denis (93), ne font pas rire ses amis. Alors qu’il effectuait un reportage en Irak où il se trouvait depuis le 16 janvier, Nadir a contacté une de ses amies par téléphone lundi à 18h pour lui faire savoir qu’il était détenu en prison par les autoritaires militaires irakiennes. Le seul numéro dont il se souvenait car son téléphone portable lui a été confisqué. Il affirmait avoir le moral, être en bonne santé et partager une cellule avec 28 « charmants » co-détenus. Depuis aucune nouvelle. Des contacts avec les autorités militaires difficiles à établir, un consul de France en Irak qui n’obtient pas de réponse à ses demandes réitérées d’exercer son droit de visite consulaire, comme cela se fait pour tout prisonnier à l’étranger. Et cela malgré le fait qu’il a été longuement reçu par le Ministre des Affaires Etrangères irakien et assuré de son soutien. Délicate et diplomatique, à croire que l’affaire embarrasse. Il semble en effet que le journaliste soit détenu arbitrairement, aucun chef d’inculpation n’ayant été prononcé. On sait de source gouvernementale qu’il lui est accusé d’avoir photographié sans autorisation un site sensible.

La mobilisation autour du journaliste est à l’image de sa personnalité attachante. Impossible de rencontrer un habitant de Saint-Denis ou de l’Île Saint-Denis qui ne connaisse Nadir Dendoune. Un comité de soutien s’est immédiatement constitué autour de la famille, de Madjid Messaoudène, élu de Saint-Denis et ami de Nadir, et des journalistes Emilie Raffoul et Arnaud Baur. Rendez-vous a été donné hier à la presse à l’Institut du Monde Arabe où la projection de son film, Palestine était programmé de longue date et a été maintenue. A la tribune, l’inquiétude est palpable. Il n’est pas otage, il est détenu par les autorités irakiennes. Il était détenteur d’un visa presse obtenu à l’ambassade d’Irak en France grâce à une lettre de mission du Monde Diplomatique. « Nadir est dans une situation fragile. Nous n’avons aucun contact direct avec lui, aucun accès à ses geôliers. L’armée ne communique pas. Nous ne pouvons pas accepter qu’un journaliste français soit jeté en prison, sans aucune charge. »

Un trou noir

Madjid Messaoudène n’est pas « hyper serein ». « On n’a rien qui nous garantit qu’il va bien et qu’il ne pète pas un plomb Qu’est-ce qui justifie qu’il est détenu et qu’est-ce qu’on lui reproche ? » Officiellement, il est reproché au journaliste d’avoir photographié les installations d’une usine de traitement d’eau. En 2003, Nadir Dendoune avait été bouclier humain devant cette usine. Dix ans après l’intervention américaine en Irak, il a voulu revenir, retrouver les gens avec qui il avait formé une chaîne humaine. « Tout se passe bien », écrivait-il dans un texto, le 22 janvier. « Les gens m’ont reconnu, m’ont pris dans leurs bras. Ils étaient contents. Ils vont me faire entrer dans l’usine. »

Free Nadir Dendoune

« Nadir Dendoune est un journaliste professionnel qui faisait son travail », insiste Alain Gresh du Monde Diplo. Depuis le départ des Américains, l’Irak est devenu un trou noir qui n’intéresse plus grand monde alors qu’on y vit sous les attentats, dans l’insécurité perpétuelle, partagé par des luttes entre des factions confessionnelles et non-confessionnelles où l’armée et la police se comportent comme des milices. D’où l’inquiétude grandissante alors qu’on ne sait pas qui détient le journaliste exactement. Cette incarcération est en dehors de tous les clous du droit selon Emilie Raffoul : « En dehors des clous du droit international car le motif de son arrestation devrait être connu au bout de 48 heures. En dehors des clous du droit diplomatique car aucune visite consulaire n’a été accorée. Nadir est dans une bulle de vide et ce n’est pas rassurant. »

Rappelons que l’Irak est le 150e sur 179 pays en matière de liberté de la presse. 370 journalistes irakiens ont été tués en dix ans. Chaque jour, les journalistes sont empêchés de travailler. Ils rencontrent des obstacles légaux, administratifs ou subissent des exactions violentes. « On pense que Nadir est interrogé par des militaires, avec des techniques d’interrogatoire militaire même s’il est bien traité. C’est-à-dire tous les jours, plusieurs fois par jour, par différentes personnes qui lui posent inlassablement les mêmes questions. Le profil de quelqu’un comme Nadir peut sembler suspect pour des gens adossés aux USA qui ont repris le régime après Saddam. »

Nadir Dendoune

Pression populaire

Aujourd’hui le comité de soutien de Nadir Dendoune estime qu’il a deux protections, celles d’être français et journaliste. La propagation rapide de la nouvelle de sa détention en Irak a étrangement été inversement proportionnelle dans les médias télévisés qui sont, nous le savons depuis Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, les meilleurs vecteurs d’une pression populaire pour obtenir la libération d’un otage ou d’un prisonnier. Présents à la conférence de presse, France 3-Ile-de-France et RTL. Le matin, France Inter avait invité Christophe Deloire de Reporters Sans Frontières (RSF) à s’exprimer sur son antenne. Rien sur les chaînes cathodiques tout info jusqu’à hier soir. Etonnamment, il semble que la personnalité du journaliste pose problème. A ne pas entrer dans les cadres, on finit par ne plus exister ou tout du moins à manquer de légitimité. « Nadir Dendoune doit être traité comme n’importe quel journaliste détenu à l’étranger. Une forte mobilisation va l’aider et surtout celle de la profession », rappelle Emilie Baur. « C’est un journaliste », poursuit Christophe Deloire. « Il ne faudrait pas qu’au motif qu’il a une très forte personnalité, qu’il est un Don Quichotte de Seine-Saint-Denis, il ne soit pas considéré comme tel. Oui il a fait un tour de France à vélo contre le sida, oui il a gravi l’Everest, mais c’est un journaliste. Quelqu’un qui sait avoir les pieds dans la boue et la tête dans les étoiles. » De son côté, le Syndicat National des Journalistes (SNJ) qui est en relation avec son homonyme irakien affirme que Nadir Dendoune aurait été entendu par un juge et que le président du syndicat des journalistes irakien aurait obtenu l’autorisation d’aller le voir samedi matin.

En attendant que la famille de Nadir et son comité de soutien, forts d’une pétition de déjà plus de 8 000 signatures, soient reçus au Quai d’Orsay ou à l’Elysée, où l’on sait de source sûre que l’affaire est remontée, un rassemblement est prévu cet après-midi à 17h30 à la fontaine des Innocents aux Halles à Paris pour réclamer la libération du journaliste français.

Comité de soutien à nadir

« Même s’il est moche, faites du bruit pour qu’il revienne », essaie de plaisanter Arnaud Baur en clin d’œil à son ami. « C’est important qu’il entende le bruit du monde. »

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Bonus vidéo : Ice T « Freedom of Speech »


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