Les premières semaines professionnelles que je passai dans le bâtiment Art Déco de la place Flagey à Ixelles me restent étonnamment précises dans la mémoire. Je montais de ma province natale, qui venait, elle, de quitter la Flandre wallonne pour le Hainaut, devenu aujourd’hui la Wallonie picarde (n’est-ce pas, Rudy Demotte !) inquiet de trouver ma place dans la « vraie » vie : le journalisme et l’écriture !
Comme j’entrais à la « radio-télévision », où s’exerce un métier plus humain que technique, en ce qui me concerne, une seule règle semblait de mise : faire le mieux possible à l’endroit où je me trouve. Le journalisme commence la plupart du temps par le café à porter, le téléphone, le classement ! Pour la radio, c’était un peu la même chose (à cette époque, reine des médias), mais on pouvait y ajouter ce qu’on appellerait aujourd’hui une touche de « glamour ».
Pouvez-vous imaginer ce que je ressentais lorsque je suis entré pour la première fois dans une cabine technique d’un studio ? Lorsque j’ai poussé les doubles portes feutrées qui isolaient l’animateur des ingénieurs du son ? Lorsque j’ai vu cet objet central, grillagé, futuriste, soutenu par des fils élastiques et une perche qu’était un micro des années 60 ? J’étais heureux ! Simplement heureux d’avoir le privilège de me trouver dans cet environnement calme, alors que je connaissais, entre autres, celui de mon père, dans une filature mouscronnoise où régnait le vacarme incessant des machines. J’étais dans un autre univers et je devais mériter d’y être.
Durant ces premières semaines « magiques », curieux, j’ai essayé de faire le tour du propriétaire : la discothèque, la régie, l’orchestre classique, les studios des « dramatiques » (les feuilletons de l’époque) avec leur bruiteur, les lectures, la rédaction du Journal Parlé (si loin encore des « infos », comme on dit maintenant !). J’échangeais, rouge de confusion, quelques mots avec Luc Varenne, vedette des commentateurs sportifs, au hasard des couloirs et j’observais – j’étais assistant dans la section « jazz » dans le même secteur musical et le même bureau d’ailleurs – la star du divertissement : Jean-Claude Mennessier. Assis dans un coin durant les répétitions du studio public, je le voyais sûr de lui, proche des vedettes de la chanson et riant avec elles, s’appuyant sur un petit staff qui suivait ses instructions, complice avec les techniciens qui mettaient ses projets en forme… J’étais ébloui et tellement impressionné ! Ce serait tellement bien de pouvoir faire ce métier de cette façon, mais… je ne m’en sentais pas capable. J’ai remisé ce « rêve » dans un coin de ma tête et j’ai travaillé le mieux possible à l’endroit et au moment où j’étais… avec persévérance, conviction, enthousiasme et patience !
La patience ! Bien sûr, il y a l’évidence de la morale de la fable de Jean de La Fontaine « Le Lion et le Rat» : « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage. » Bien sûr, il y a Nicolas Boileau et son « Art Poétique » tant de fois dit et redit par nos maîtres d’avant : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément. / Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Nous avons tout à gagner lorsque les choses arrivent au bon moment, pour soi comme pour les autres.
Aujourd’hui plus encore, j’ai découvert l’art et l’utilité de la patience. Celle d’attendre l’être qu’on aime, celle de savourer l’heure d’un rendez-vous, celle de laisser le temps s’écouler à son rythme et pas au mien. Amin Maalouf dans « Le périple de Baldassare » écrit : « L’amour se nourrit de patience autant que de désir ».
« La patience est l’art d’espérer » écrit Vauvenargues dans ses « Réflexions et maximes ». Il n’est pas le seul à philosopher et gloser à propos de la patience. Depuis toujours les grands esprits nous incitent à acquérir cette qualité qui ne peut que nous épanouir ! Plutarque, au début de notre ère chrétienne, écrit dans la « Vie de Sertorius » : « La patience a beaucoup plus de pouvoir que la force. » Au XVIe siècle, William Shakespeare dans « Othello » : « Combien pauvres sont ceux qui n’ont point de patience ». Le naturaliste Buffon, au XVIIIe siècle, note : « Le génie n’est qu’une plus grande aptitude à la patience ».
Mais pour conclure sur un sourire, un clin d’œil, d’un humour – cependant dépassé car propre à cette fin du XIXe siècle, où les mœurs étaient celles que nous connaissons, – voici ce trait d’Alphonse Allais : « On a dit que le génie était une longue patience. Et le mariage donc ! »
La patience