Small is beautiful.
On connaissait David et Goliath, le petit poucet et l’ogre. Ces histoires partagent en définitive la même morale : le plus petit est souvent le plus malin. Et par voie de conséquence le plus fort. Il en va de même de Phantom Buffalo, outsider discret de la pop américaine. Qui avait remarqué ce quatuor du Maine – la région ne plaide pas vraiment en sa faveur – depuis sa formation au début des années 2000 ? Une discographie en pointillés dont Tadaloora demeure l’évidente figure de proue, un ascétisme médiatique érigé en système et, enfin, une page Wikipedia minimaliste. Le groupe aurait pu passer à côté de l’Histoire là où les Shins réussirent leur migration de l’indie vers la classic pop, tutoyant les cimes de la reconnaissance mondiale. Mais il faut se méfier de l’eau qui dort. Si Phantom Buffalo donnait l’impression de manquer de jeu, il a abattu là ses meilleures cartes. La première tient à un mode de production et de distribution iconoclaste. Pour financer cette nouvelle livraison, il a retenu une structure participative bien dans l’air du temps. Au-delà de l’effet de mode, le fait d’avoir opté pour un micro label faisant des fans les principaux investisseurs lui a permis de conserver une totale liberté de création qui se ressent à l’écoute de Tadaloora. De plus, le concept du disque insulaire, ambitieux mais risqué, a offert au groupe un espace d’expression rare pour faire coexister le meilleur de la pop antique – impeccablement construite – et une certaine idée du rock, surtout quand il dégaine ses guitares en barbelé dans une apocalypse sonique qui accompagnera à merveille la fin prochaine du monde. Autre détail à son avantage : malgré une tracklist toujours aussi plantureuse, Phantom Buffalo est parvenu à simplifier son langage sans jamais sombrer dans la simplicité. Jonathan Balzano-Brookes n’a pas son pareil pour trousser des compositions originales – cette histoire d’île fantastique qui s’ouvre sur une porte dorée et se finit dans un sémillant château venteux. Sans avoir à passer par Google Maps, on y découvre quelque paysage mirifique, des animaux bizarres, Reginald le cheval, et bien sûr les habitants de Tadaloora. On se promène d’une chanson à l’autre en cueillant deci-delà un joli couplet, un fringuant refrain, en s’abreuvant dans le flot cristallin des guitares. Il arrive que le groupe sorte des sentiers battus, osant flûte, saxophone et trompette, qu’il ouvre une clairière – ces quelques interludes timides offrant au disque des respirations bienvenues. Sans même s’appesantir sur ces cavalcades rock déflorant la douce quiétude de cet authentique chef-d’œuvre – l’entame quasi grunge de Frost Throat et le final languide de Journey To The Castle Of The Racing Wind. Cette île, Tadaloora, au nom presque tahitien, est un peu son Village Green à lui, bien au-delà de la dimension anglophone de la musique qui, soit dit en passant, s’avère ici totalement fondue comme les tanins. Et pour cause, la formule qu’il claironne revêt les atours de la modernité. Ultra futé, Phantom Buffalo a enfin choisi de sortir sa pop affutée en fin d’année, au moment même où les Best Of des rédactions sont presque bouclés, où l’on attend rien de plus si ce n’est les fêtes aux promesses de boulimie commerciale et de festins dodus. ET PAF ! L’album fait mouche ! Sa beauté autant que sa singularité convainquent quiconque s’y aventure. Avec candeur, la bande de Jonathan Balzano-Brookes délivre le disque que l’on n’attendait plus. D’autant que l’année fut prolifique pour la pop US qui achève d’assommer une Angleterre privée de ses forces vives, Pete Doherty et Amy Winehouse. On espère que le groupe n’apparaisse plus de façon fantomatique mais bel et bien comme un buffle fier, naseaux fumant dans les vastes prairies de la pop occidentale. On souhaite également qu’il inscrive définitivement l’île de Tadaloora dans les précis de Géographie. En cela, Phantom Buffalo semble bien parti. Le « Sail On » chanté en boucle sur le morceau final, hypnotique à souhait, montre le cap. Comme si Phantom Buffalo était guidé par d’invisibles petits galets. La stratégie du petit Poucet, donc.
http://www.deezer.com/fr/album/6131944
11-12-2012 |
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