La classe politique belge est en émoi : Didier Bellens, le patron de Belgacom, s'est montré très critique à l’encontre des réglementations qui, selon lui, tuent les entreprises industrielles.
Par Jean-Francois Nimsgern, depuis la Belgique.
Didier Bellens, CEO de Belgacom.
Le patron de Belgacom déclare que la Belgique s'est fait une spécialité de tuer ses entreprises, et voilà la classe politique en émoi.
Cette même classe politique est pourtant à l'origine des deux maux qui frappent rudement les entreprises belges : des taxes et charges écrasantes et des réglementations étouffantes. Si Monsieur Bellens ne dit mot des premières, et c’est à regretter, comment peut-on lui donner tort lorsqu'il évoque les secondes ?
Il ne se passe pas de semaine sans que la presse ne nous rapporte comment une entreprise, grande ou petite, finit par baisser les bras devant la toute puissance d'un bataillon de fonctionnaires venant entraver leurs activités. Un jour c'est Ice Watch, chassée de Bastogne par la volonté du fonctionnaire délégué à l'urbanisme, qui lui refuse les locaux dont elle a grand besoin, le lendemain, c'est un modeste fritkot jugé indésirable à Hannut, malgré cinquante ans de bons et loyaux services, insuffisants aux yeux de la commission d'aménagement qui l'a rayé de la carte.
Mais toutes les entreprises, y compris celles qui ne sont pas poussées à cette fatale extrémité, subissent au quotidien l'avalanche de réglementations et de prescriptions non seulement croissantes, mais encore changeantes.
À ce titre, les exemples que prend Didier Bellens, et qui concernent son activité sont édifiants. D'une part, il s'en prend à la loi Telecom, qui est avant tout une loi inutile. Le secteur des télécoms est un secteur concurrentiel, où il est possible de trouver une offre large, avec ou sans abonnement et avec ou sans engagement. Certains opérateurs, comme BASE, ne pratiquent ni préavis ni pénalités lors des résiliations d'abonnements, d'autres comme Belgacom ont fondé leur stratégie commerciale sur un engagement plus long. Le consommateur disposait donc d'un choix d'offres étendues ; le libre choix de chacun se serait chargé d'éliminer, de manière absolument naturelle les moins compétitives. On prétendra que résilier son contrat sans devoir attendre rend la liberté au client ; mais si en contrepartie d'une durée d'engagement longue, il obtenait des avantages supplémentaires qui lui faisaient accepter cet inconvénient, où est le problème ?
L’État s'est donc immiscé dans la relation contractuelle entre un client et son fournisseur, relation librement consentie et à laquelle il existe de nombreuses alternatives, privant le client d'une partie de son choix. L’État s'est encore immiscé dans la stratégie commerciale d'entreprises qui, à l'exception de l'une d'elles, et encore pour moitié seulement, ne lui appartiennent pas, en leur interdisant de proposer certains types d'offres que les consommateurs auraient été libres d'acheter ou non. L'Etat enfin déresponsabilise le consommateur, le traitant comme incapable d'exprimer sa volonté et imposant par la loi ce que la somme des choix individuels eut tout aussi bien réalisé sans qu'un politique n'ait à s'en mêler.
Le second exemple de Didier Bellens est tout aussi frappant. Nul ne niera qu'une technologie comme le 4G puisse avoir une utilité dans une ville au rayonnement international comme Bruxelles. Par pure idéologie, son entreprise est privée de la possibilité de la mettre en œuvre, au nom du principe de précaution, qui est pourtant une escroquerie intellectuelle majeure. En effet, il revient à devoir faire la preuve de l'absence de risque, même à long terme. Il suffit de réfléchir une seconde pour se rendre compte qu'il est tout à fait impossible de faire la preuve d'un fait négatif. On peut prouver ce qui est, et non ce qui n'est pas. Je peux prouver rédiger cet article en me trouvant à Bruxelles, je ne peux pas prouver ne pas l’avoir fait depuis Liège (sauf à le prouver a contrario par le fait positif de me trouver à Bruxelles). De plus, comment prouver le futur ? C'est par essence impossible. Après près de 20 ans d'usage des diverses technologies GSM, il n'y a toujours pas le début du commencement d'une preuve de danger. Le seul et unique cas au monde où un tribunal (italien en l'espèce) a accepté d'établir un lien, cas dont les ayatollahs de la précaution font leurs choux gras, est un cas où un employé bénéficiait d'une présomption légale en sa faveur, et où il appartenait donc à son employeur d'apporter la preuve contraire, soit très exactement de faire la preuve d'un fait négatif.
La technologie a fait évoluer d'une manière considérable notre niveau de vie, avec parfois des dangers réels (un avion peut s'écraser, une voiture peut être accidentée), parfois imaginaires (comme les ondes radio ou télé), et souvent des peurs irrationnelles. L'Académie française de médecine s'élevait avec vigueur contre les premiers chemins de fer, vers 1840, au motif que le corps humain ne supporterait pas à long terme des vitesses de plus de 60 km/h. Nos aïeux étaient des gens sensés, ils n'ont pas cédé devant l'hystérie précautionniste, sans quoi nous nous déplacerions encore à dos de cheval... À moins que les aïeux de nos aïeux, considérant le risque de chute, n'aient rejeté l'idée de domestiquer cet animal, auquel cas nous mangerions peut-être encore le fruit de notre cueillette (froide, bien entendu, car le feu peut brûler), au fond de nos cavernes.
Lorsque le patron d'une entreprise phare s'exprime aussi clairement, quelle est la réaction des politiques ? L'introspection n'étant pas leur qualité première, et leur certitude de faire le bien aussi ancrée en eux que l'envie de retrouver leur siège, nous avons eu droit à un florilège de déclarations cocasses. Ainsi Monsieur Demotte, qui est un homme intelligent, et qui sait bien, au fond de lui, que tout cela est vrai, utilise l’argument du « ne le dites pas trop fort, si ça se sait les gens ne viendront plus investir chez nous. » Mais les gens ne sont pas stupides, Monsieur Demotte, ils le savent déjà. Son homologue Monsieur Labille, ministre des Entreprises Publiques, joue lui aussi l'air du « c'est pas bien, faut pas dire des choses comme ça », sur une idée de base déjà développée en son temps et en musique par Guy Béart « le premier qui dit la vérité ». Madame Huytebroeck, elle, est vexée, et nous gratifie d'un magnifique argument politique : s'il continue à ne pas être gentil, je ne négocierai pas avec lui. Il ne manque que le « na » à la fin, et nous voilà replongés au temps délicieux de la sixième primaire. Messieurs De Wolf et Gosuin, pour le MR et le FDF, sont un peu gênés aux entournures : voilà une belle occasion de critiquer la région bruxelloise (où ils sont dans l'opposition) en oubliant la partie concernant le fédéral (où ils sont dans la majorité). Leur soutien, qui en est un sans en être un, démontre que le funambulisme est une qualité politique majeure. Passons sur la régionalisation de Belgacom évoquée par Monsieur Peeters, qui se prépare sans doute à reformer un cartel de monomaniaques avec la NVA...
La réaction la plus hallucinante, pour reprendre son propre terme, vient de Madame Fonck au nom du CDH. Après une magnifique entame où elle reproche à Didier Bellens de ne penser qu'à remplir les caisses de Belgacom, ce qui en passant est tout de même le rôle du patron d'une entreprise, sauf peut être dans le monde magique de Madame Fonck, où le souci premier d'un patron doit sans doute être de les vider (alors que ce privilège est bien entendu celui des politiques, d'où peut être la confusion dans son esprit), la voici qui réclame fièrement des excuses. Émettre une opinion dissidente nécessite donc dans son esprit de s'excuser, voilà une drôle de conception de la liberté d'expression. Mais le summum de l'absurde est atteint lorsqu'elle demande des excuses non pas pour les politiques, mais à l'ensemble des consommateurs. Et pourtant, Madame Fonck, jamais les paroles passées, présentes et futures de Monsieur Bellens et de tout l'état-major de Belgacom et de ses concurrents réunis n'ont fait, ni ne feront autant de mal aux consommateurs que vos actes. Alors si vous vous excusiez auprès des consommateurs et des entreprises pour vouloir régenter leurs vies jusque dans les plus petits détails, les spolier de leur argent et leur infliger par dessus vos petites leçons de morale bien pensante ?