Il paraît que deux choses seulement gouvernent le monde : l’argent et l’amour.
L’amour c’est beau et cela inspire aux hommes et aux femmes de nobles sentiments, et même des odes, des aubades, des sérénades, des romans poignants et des films à budget titaniquesque.
Alors que l’argent est sale, qu’il inspire aux hommes et aux femmes des réflexes reptiliens flattant leur égo, leur soif de pouvoir et stimule leur rivalité.
Oh bien sûr, il y a des gens qui tuent par amour et à l’inverse il y a des gens qui souhaitent que l’argent relie les hommes dans le cadre d’une nouvelle économie fraternelle. Cela existe tout comme l’écume blanche et légère existe, à la crête du massif océan.
Mais trêve de métaphores ampoulées et de poésie, parlons argent.
L’argent considéré comme fin, l’argent pour l’argent, est une dérive déjà dénoncée par Aristote sous le terme chrématistique. Evidemment, personne en ce monde ne va ouvertement déclarer qu’il est pour. On trouve toujours un alibi. Même un fonds de pension américain, ces fameux fonds de pension qui…
Deux secondes. Quelqu’un peut-il sortir le nom d’un de ces fonds de pension américain ?
Cher Warren
Ah ah ! Ils ne sont donc pas si fameux que cela. Pourtant, dernièrement, sans le savoir, il y en avait un assez fumeux. Berkshire Hathaway (Warren Buffet, Bill Gates et alii à sa tête) est propriétaire de Lubrizol. Cette compagnie qui connaît des fuites de gaz en Normandie… Mais ca c’est peanuts dans le portefeuille de Berkshire Hathaway; ils ont 10% de Goldman Sachs et de Moody’s par exemple.
Les fonds de pension américains, au final, ne font pas de l’argent pour faire de l’argent. Que non ! C’est pour garantir un niveau de vie satisfaisant aux heureux investisseurs. Avec eux, vous avez ces fameuses rentabilités à 2 chiffres. Du +10% garanti. Souvent bien plus !
Bien dans ses pantoufles
Mais je pense que les fonds de pension américains sauront être beau joueur et reconnaître que c’est plus facile d’amasser quand on délocalise, pollue, exploite et verrouille à tout va. Si vous regarderez dans le portefeuille de cette belle company, pas beaucoup de co-voiturage, de culture biologique, de fonctionnement démocratique, etc… Tout juste une fondation prête au charity business.
Derrière eco-SAPIENS, il y a une entreprise. Une coopérative pour être précis. Une SCOP (et pas scoop comme on voit toujours. Ce statut a plus d’un siècle, époque où la mode des -oo n’existait pas encore). En tant que SCOP, nous appartenons fièrement à cette belle famille qu’est l’économie sociale.
Un peu maso, nous avons décidé de tenter un business model un peu complexe. Sur Internet déjà c’est pas simple. En plus, on fait pas de publicité (mais de l’affiliation, c’est à dire une rémunération sur les ventes, en toute transparence). En plus on sélectionne nos boutiques sur des critères d’éco-consommmation.
Last but not least, on produit de l’information, que nous espérons de qualité, pour le grand public. De l’info qui sert à tous, comme ca, pour le plaisir, parce que l’on est sympa.
Cette finalité est si tordue qu’elle nous donne le droit de nous revendiquer de l’économie solidaire.
Social ici, solidaire là. Corollaire que vous devinez aisément… nous faisons partie de ce truc que personne ne sait ce que c’est et qui a désormais un ministère : l’économie sociale et solidaire.
Pendant qu’en arrière-cuisine politique, l’on s’écharpe pour définir ce que veut dire social et ce que veut dire solidaire (en caricaturant : social=forme juridique / solidaire=finalité positive), on ne voit personne s’attarder sur la définition du mot « et« .
Eh oui, il y a bien 3 mots dans économie sociale ET solidaire.
En logique combinatoire, un « et » n’est pas un « ou ». Donc l’honnêteté intellectuelle voudrait que l’économie sociale et solidaire soit composée uniquement de structures respectant la forme (association, coopérative, mutuelle, fondation) et le fond (bio, équitable, écolo, participatif, insertion… ce que le gouvernement appelle utilité sociale). Autant dire qu’il ne restera pas grand monde ! Mais ouf, nous on serait dans le bateau du ministère.
Alors tacitement, un peu avant que la politique ne ponde les lois, tout le monde s’est dit que le « et » était en fait un « ou ». Donc là, ca ratisse large. C’est ainsi que nous pouvons arriver à ces chiffres que chacun découvre un peu hébété, lors du mois de novembre, mois de l’ESS.
Les entreprises de l’ESS sont en France un acteur économique de premier plan. Elles emploient plus de 2,35 millions de salariés et distribuent chaque année plus de 50,5 milliards d’euros de masse salariale, soit environ 10 % de l’emploi salarié et de la masse salariale versée chaque année par les entreprises privées. A titre de comparaison, c’est 2,5 fois le poids de la masse salariale du secteur de l’hébergement et de la restauration et 1,5 fois plus d’emplois que le secteur de la construction.
Diantre ! Tous ces salariés qui faisaient de la prose ESS sans le savoir ! Bon c’est un peu flou puisque le terme « entreprises » est utilisé bien que l’on décrète que les associations font partie de l’ESS. Passons.
Autant dire que tout le monde s’agite puisque le ministre de l’économie sociale et solidaire, le socialiste Benoît Hamon, va devoir définir le cadre politique. Sera-t-il œcuménique, sauce MOUVES ? Sera-t-il plus institutionnel ? Nous on craint dégun car, on l’a découvert récemment, Benoît Hamon est doublement notre ministre puisque il aussi le portefeuille « Consommation ».
Alors petit message pour Benoît s’il nous lit quand il nous lira.
Cher Benoît
Après avoir traversé la crise de 2012, tandis que l’éco-consommation, et notamment la mode éthique, ont connu la berezina, eco-SAPIENS a décidé de passer le cap des 5 ans. Un peu éreinté, un peu perplexe, mais bon 5 ans, en partant de rien, on était content.
Alors on a tâté notre auditoire : « Public chéri, êtes-vous prêt à remettre un peu de capital ? Ce sera top : on a des nouveaux projets, on est pas si mauvais car encore vivants malgré de sacrées contraintes éthiques (car on y croît). Et puis c’est important d’avoir un guide d’achat éthique indépendant. »
En 3 mois, nous avons rassemblé le montant maximum autorisé par notre statut coopératif; à savoir que le capital extérieur doit rester inférieur au capital apporté par les salariés. En gros 43 000 euros grâce à 120 personnes. Ca regonfle.
Alors, fort de notre formation à Dauphine, maintenant qu’on a compris qu’il existait des marchands d’argent, on est allé frapper à la porte pour trouver un investisseur qui avait envie de placer dans un machin qui fait sens. Oui oui, il y a plein de fonds qui en ont marre de placer dans l’assurance, l’armement, le pétrole et tout cela. C’est dingue mais ca fait plaisir.
Notamment, on est allé voir les guichets dédiés à l’emploi solidaire et aux coopératives. Du capital-risque rien que pour l’ESS ! Génial qu’on s’est dit. En plus l’Etat a récemment abondé de 100 millions d’euros via un Plan d’Investissement d’Avenir rien que pour l’ESS, et sous la forme qui nous convient (pas du capital mais du titre participatif – nuance technique que les happy few saisiront).
Confidential – Do not publish
Extrait du document confidentiel de ce Plan d’Investissement
Les entreprises éligibles sont
- les entreprises de l’économie sociale dont la finalité sociale, sociétale ou environnementale est centrale, qui observent un principe de lucrativité limitée et cherchent à associer les parties prenantes à leur gouvernance).
- les entreprises sous quelque statut que ce soit, bénéficiant de l’agrément « Entreprises solidaires ».
C’est assez rare de pouvoir cocher toutes les cases. Un peu plus loin, parmi les quatre actions prioritaires figurent les NTIC avec des termes qu’on croirait sortis de chez nous (« contribuer à l’évolution des pratiques de consommation« ).
Voilà ce que stipule la Caisse des Dépôts, ce grand argentier de l’Etat. Allons donc voir les guichets ?
Eh bien on s’est pris de joyeux râteaux.
Les motifs invoqués sont assez flous voire contradictoires. Par exemple, notre siège social n’est pas au bon endroit même si les emplois créés et le centre de décision y sont. Surtout, on sent bien que Internet est quelque chose de trop immatériel pour inspirer confiance. Il n’y a guère que les business angels pour start-up, plutôt adeptes du mouvement pigeon, qui comprennent ce que l’on fait. Mais nous… nous ne les comprenons pas. Depuis quand on créé une boîte avec comme objectif de la revendre ?
Le nec plus ultra, c’est que ces guichets ont des lignes de capital-risque qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à un couteau sans lame à qui on aurait enlevé le manche.
- Montant plafonné sur le nombre de salariés (disons 6 000 euros par tête de pipe)
- Rentabilité fixée à 9%.
9% par an ? Oui oui vous avez bien lu.
Alors lever 40 000 € à 9%, nous avons décidé d’appeler cela du capital-risque sans capital ni risque.
Ca va devenir compliqué si les boîtes de l’ESS, en plus d’êtres utiles, démocratiques, écolos, sociales, participatives, transparentes, photogéniques, ventriloques et autodidactes, sont sommées d’être plus performantes économiquement que la moyenne !
Tiens, juste pour voir, on irait bien frapper à la porte de Berkshire Hathaway…