Magazine Cinéma
Aux deux extrémités de Zero Dark thirty, il y a une vision obstruée et une vision altérée. C'est, en ouverture, l'écran noir du 11 septembre, et vers la fin l'intervention nocturne en caméra infrarouge. Le film ne raconte pas autre chose que le chemin tortueux de l'un à l'autre. La cécité pure et simple de l'événement dialogue avec une perspective narrative transparente - comme cette vitre sur laquelle le personnage de Maya fait au marqueur le décompte des jours - pour former enfin une lucidité paradoxale, laissant une place au doute et à d'indistinction.
Film tâtonnant par excellence (dans son rythme et dans son atmosphère), Zero dark thirty nous montre la torture sans explication, comme l'acte le plus brut qui soit. C'est à peine un moyen d'obtenir des informations (les données intéressantes viendront par d'autres moyens). Quelque soit le contexte, la violence reste un acte aveugle, qui se contente d'exister. Le reste du film tend vers une meilleure mise en perspective, sans vraiment y parvenir. Malgré la force de conviction de Maya, tout reste toujours suspendu à un pourcentage de probabilité et donc à une marge d'incertitude. C'est pourtant son effort de vision qui permet au récit de gagner en amplitude, avant de se resserrer sur l'intervention finale.
Admirable montée en tension qui nous montre la manière dont l'action, avec son impact et ses effets, teinte le regard d'une couleur précise. Le film retrouve alors sa dimension faustienne qui place l'action en tout premier lieu, avant même le verbe. Mais pour instiller cette fois l'idée qu'aucun outil n'est jamais neutre, que chaque geste porte avec lui une altération du point de vue. On a cette incroyable impression, lors de l'opération pour la capture de Ben Laden, que c'est avec leurs mains et à travers leurs armes que les soldats voient l'ennemi.