Steve Tesich : Karoo

Par Gangoueus @lareus

Coup de coeur
KAROO, de Steve Tesich

Par Emmanuel GOUJON


C'est le testament désabusé d'un homme qui va mourir. Un roman de la vacuité et de la solitude, qui démontre que l'argent ne fait pas le bonheur.
Karoo, c'est le titre du roman de Steve Tesich(1942-1996). Un titre mystérieux, un mot qui en langage khoikhoi signifie le Pays de la soif. On pourrait penser que c'est parce que le personnage principal de cette histoire n'arrête pas de boire, surtout de l'alcool, sans jamais en sentir les effets. Une étrange maladie. Mais en fait cette soif inextinguible, c'est un besoin d'amour et de sens. Ce pays de la soif, c'est notre société moderne où souvent ne comptent que les apparences, l'argent, le succès commercial, au mépris de l'honneur, de l'honnêteté, du respect et du courage.
Tesich est désabusé, cynique. Son humour corrosif. Décédé à 53 ans, juste après avoir terminé son roman, Tesich nous plonge d'abord dans des scènes cocasses où son héros, Ulysse mondain de cocktails sans buts, erre de groupes en conversations que personne n'écoute vraiment. Mais cette phase humoristique nous fait tomber de plus haut dans l'abyssale noirceur du personnage. Et nous sombrons petit à petit avec lui, obligés de nous regarder dans ce miroir de nous-même, reflet incarné d'un ennui chronique qui nous menace tous.
Saül "Doc" Karoo, le personnage central du roman est un riche consultant en cinéma. Son travail: réécrire les scénarios, remonter les films en suivant les ordres d'un producteur qu'il abhorre, mais auquel il ne refuse rien. Cette occupation, au mépris du travail artistique des auteurs originaux, lui rapporte beaucoup d'argent. Il n'a aucun souci matériel, au point qu'il refuse même de prendre une assurance maladie. Il est séparé de sa femme, mais n'arrive pas à divorcer. Il a un fils adoptif qu'il n'arrive pas à voir dans l'intimité, avec lequel il ne partage rien. Et une mère qu'il ne voit jamais. Saül Karoo se complait dans son personnage d'alcoolique mondain, et simule l'ébriété pour ne pas prendre le risque de briser l'image que les autres ont de lui. Il enchaîne les aventure féminines sans lendemain et se regarde le nombril à longueur de journée avec complaisance. Il sait qu'il n'est pas heureux, à peine satisfait... jusqu'au jour où il tombe amoureux.
L'épisode n'est pas anodin : la rencontre est d'abord virtuelle. Karoo doit retravailler le film d'un génie reconnu et respecté du cinéma. Il s'y refuse mollement avant de visionner le chef d'œuvre. Et là, il aperçoit l'inconnue qui joue un petit rôle. Je ne gâcherai pas l'effet de surprise en racontant plus. Sachez juste que cette lecture en vaut la peine. Car si Tesich dénonce l'incapacité d'aimer et de connaître l'autre, il partage avec nous lecteurs, de grande pages de désespoir où ne point aucune miséricorde.
Karoo est un cadeau que l'on m'a fait. En le découvrant de son emballage coloré, j'ai découvert le livre couleur sable, la couverture rugueuse, le poids... A mon tour je vous l'offre.
Steve Tesich, Karoo608 pages, éditions Monsieur Toussaint Louverture, traduit de l’anglais (Etats Unis) par Anne Wicke en 2012Un article d'Emmanuel Goujon