Fountain © Albin Michel 2013
Les héros de l’Amérique sont de retour au pays. Huit membres d’une compagnie ayant survécu à une embuscade près de Bagdad sous les caméras de Fox News ont été choisis par l’administration comme emblèmes du courage made in USA. La vidéo fait un tabac sur Youtube et les soldats font la tournée des grands ducs pendant quelques jours. Une « tournée de la victoire » passant par la Maison Blanche et se terminant un jour de Thanksgiving au Texas Stadium de Dallas où les militaires sont « exposés » en public à la mi-temps d’un match de football américain, entre les arabesques des pom-pom girls et un mini concert des Destiny’s Child.Parmi ces combattants revenus temporairement du front, il y a Billy Lynn, 19 ans. Obligé de s’engager pour éviter la prison après avoir saccagé la voiture de son beau-frère, Billy ne sait plus où il en est. Érigé en sauveur de la nation avec ses sept compagnons d’armes, il constate, lucide et impuissant, que leur gloire ne leur appartient pas, « qu’ils baignent dans la manipulation, c’est leur élément, car quel est le boulot d’un soldat sinon d’être un pion qu’on avance ? »
Tout est là, dans ces chimères que chaque personne croisée leur fait miroiter, notamment Albert, producteur de film leur assurant qu’il va vendre à prix d’or les droits de leur histoire à Hollywood. Depuis une semaine, les mêmes mots reviennent dans la bouche de leurs interlocuteurs : fierté, liberté, héros, sacrifice, 11 septembre, etc. « Vous êtes l’Amérique » ne cesse-t-on de leur dire. On les étreint, on leur demande des autographes, on les remercie. Billy et les siens n’écoutent plus. Ils sont emportés dans un maelström qui les dépasse totalement. Marionnettes manipulées par l’administration Bush, ils vivent cette dernière journée avant de repartir en Irak comme un mauvais trip dont il sera difficile de se relever. Pour Billy, seule la rencontre avec la jolie cheerleader Manon apportera un soupçon de lumière dans cette sombre mascarade, même si au final la jeune fille, béate d’admiration devant le héros de guerre, ne se révélera pas différente des autres.
Après un recueil de nouvelles, Ben Foutain signe un premier roman engagé. Une charge sans complaisance contre l’Amérique conservatrice. Il dénonce en vrac l’égoïsme, l’opulence, la cupidité et le cynisme de ces républicains texans aussi gras qu’ignorants. L’auteur souligne aussi les névroses d’une société gavée d’images et de publicité qui laisse ses propres enfants se faire dévorer aux jeux d’un cirque médiatique qui les dépassent.
La construction du texte est limpide : toute l’action se déroule en une seule journée, avec simplement un flashback permettant de retrouver Billy de retour pour quelques heures dans le cocon familial. La plume est corrosive, les dialogues savoureux et les portraits au vitriol des républicains 100% pur jus s’enchaînent sans temps mort (avec une mention spéciale pour Norman Obesgly, le richissime propriétaire de l’équipe de foot de Dallas). Entre ironie grinçante, satire impitoyable et roman profondément politique, Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn est en quelque sorte un miroir que Ben Foutain voudrait tendre à ses contemporains les plus ordinaires pour qu’enfin peut-être ils cessent de se voiler la face. Une vraie belle réussite.
Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Foutain. Albin Michel, 2013. 402 pages. 22,00 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.
Et une nouvelle participation au défi de Anne !