Il fait chaque jour plus sombre et plus froid. Les cendres et les nuages ont recouverts le soleil irrémédiablement. Le sol est brûlé et s'étale sous mes pieds un tapis épais de charbon et de poussière dans lequel s'enfoncent mes pieds toujours plus traînants et lourds. Le souffle court, j'avance sans espoir et sans vie, mécaniquement.
L'air que je respire est mortel, saturé de plombs et de produits chimiques qui puent encore plus que de la chair en décomposition. Une puanteur atroce qui se colle au parois du nez et à la barbe, et qui vous donne l'impression d'être un univers à lui seul. Un monde, comme celui qui un jour a existé, paraît-il...
Je croise des ruines peuplées d'âmes errantes et désespérées, vaguement cannibales, sans chef et sans hiérarchie. Anarchie? Disons plutôt survie, à n'importe quel prix. Des cadavres empalés, sur des parcelles entières, servent de garde-manger aux seigneurs de guerre autoproclamés. Prisonniers, étrangers, esclaves, passants... repas ambulants.
Je ne dors plus la nuit. J'allume un feu pour cuire ce que j'ai réussi à trouver puis je m'allonge avec mon couteau à portée de main. Je mange ce que je capture, ou ce que je trouve dans les rares ruines inhabitées que j'arrive à découvrir. Graines, viande avariée dont je préfère ne pas connaître l'origine, pain rassis et eau croupie.
J'ai perdu toute notion de temps. Je pense qu'on arrive en hiver étant donné qu'il fait de plus en plus froid. Et que la nuit tombe de plus en plus tôt. Parfois il pleut, les gouttes d'eau noire et lourde collent la poussière au sol et rendent la marche plus aisée et plus rapide, à condition de ne pas trébucher sur les roches qui affleurent tout au long du chemin.
J'ai un sac que je ne perdrais pour rien au monde. Il contient les restes de ce que je fus un jour. Au milieu, soigneusement calfeutré entre deux vêtements crasseux, un livre. Des poèmes de Lord Byron. Il y parle de landes désolées, de châteaux abandonnés, de fantômes et parfois même d'amour. J'ai oublié jusqu'à la signification de ce mot. J'ai oublié toute notion de langage. Je ne parle plus à qui que ce soit depuis tellement longtemps que je ne sais plus émettre que des râles et des grognements.
Je ne sais même plus comment je m'appelle ni qui je suis. Je n'ai rien avalé depuis ce qui semble être plusieurs semaines maintenant. Je ne dors plus. J'avance. Un pas devant l'autre puis un autre puis un....