Fig. 1
Après le franc succès fin 2012 à Bruxelles de l’exposition Unexposed* qui réunissait les œuvres de 40 jeunes artistes iraniennes, c’est au tour du Parlement Européen de les présenter, “afin de voir autre chose de l’Iran“.
Unexposed c’est quoi ?
Fig. 2
C’est le pari audacieux de la commissaire d’exposition, Fery Malek-Madani, femme de cœur d’origine iranienne, militante des droits de la femme, spécialiste de l’Iran et fondatrice d’Art Cantara asbl “pour la création de ponts entre les cultures“.
En 2010, elle lance sur Facebook un appel aux artistes iraniennes qui voudraient participer à son projet artistique. Pour être sélectionnée, elles doivent répondre à trois critères spécifiques: être une femme , née entre 1971 et 1991, vivant et travaillant en Iran. Sur les 400 réponses reçues, Fery Malek-Madani, assistée d’un jury composé de professionnels, retient 40 artistes.
Elle part aussitôt à leur rencontre pour découvrir leurs univers artistiques, leurs démarches mais aussi leurs histoires personnelles. A chacune, elle demande à voir les œuvres qui n’ont jamais été exposées et de lui en expliquer les raisons. Parmi les causes invoquées, le refus des galeristes par peur d’éventuelles représailles mais aussi l’autocensure de l’artiste elle-même.
“On peut peut-être interdire les artistes d’exposer mais certainement pas les empêcher de créer“ (Fery Malek-Madani)
Fig. 3
C’est en choisissant parmi “ces interdits“ que Fery Malek-Madani a réalisé son Unexposed rassemblant 80 œuvres (deux par artistes) jusqu’à présent cachés dans des appartements familiaux, dortoirs de jeunes filles, bureaux ou ateliers.
La génération post-révolutionnaire
Fig. 4
Mettre en place des évènements dédiés aux artistes iraniennes, offrir “un espace de liberté“ pour qu’elles puissent s’exprimer, Fery Malek-Madani en a fait son leitmotiv. Mais cette fois-ci, elle met en lumière le travail artistique d’une génération d’artistes très spécifique: celle de l’après-révolution qui n’a connu de l’Iran que la République Islamique. Pour la commissaire d’exposition il s’agit de montrer comment ces jeunes femmes qui “ont été élevées à l’école du régime islamique et baignées dans la pensée unique“ réussissent malgré tout à produire “un art totalement universel“ ainsi qu’à avoir une ouverture d’esprit sur le monde qui les entoure.
Contestation sous-jacente
A travers les sujets traités, on découvre la critique acerbe de cette jeunesse coincée entre les dictats d’une société aux mœurs archaïques et l’attirance pour la modernité qu’incarne le monde occidental. Dans leur oeuvres, elles expriment leur colère, et leur frustration
fig. 5
Les thèmes de la liberté, des droits de la femme, de la guerre, de la modernité, de l’Occident et de la technologie se trouvent au coeur de leur préoccupation et de leur expression artistique.
La discrimination et la condition de la femme se traduisent de façon différente : violemment à travers les deux photos chocs de Samin Abarquoi (fig. 1 et 2) ; plus tristement chez Fariba Dehghanizadeh (fig. 3); impressionnante et angoissante chez Atousa Vahdani avec sa Shabnam,(fig. 4) enveloppée dans du “thermé“, tissu traditionnel iranien, utilisé notamment pour recouvrir les morts…
Chez Maryam Majd, les femmes font de la résistance. La jeune photographe y montre des sportives qui malgré le port obligatoire du “hejab“ continuent à exercer leur sport de prédilection ( fig. 5).
fig. 6
M. Kaseaei Nasab, exprime le désarroi “d’une génération qui ne comprend pas pourquoi elle est sous sanction“ et la difficulté d’obtenir un Visa quand on vient d’Iran ( fig. 6). Le monde est un village nous avait-on dit ? Pas pour elle en tout cas qui a vu son visa refusé par la France.
La quête de liberté se traduit chez Sahar Mokhtari par la rencontre fictive de deux héros de l’Histoire: le tristement célèbre Vietcong exécuté en 1968 par un officier sud vietnamien et Sattar Kahn, révolutionnaire iranien du début du 20ème siècle, morts tous deux au nom de la liberté ( fig. 7).
fig. 7
Les artistes telles que Delara Pakdel et Homa Arkani, révèlent à travers leurs œuvres un pays à deux vitesses ( fig. 8 et 9). La première met en scène des dervish (équivalent du moine occidental) en vêtements traditionnels se promenant dans le métro. La jeune peintre souhaite montrer aux occidentaux que l’Iran possède aussi des moyens de transports modernes . La seconde exprime une société à la fois accablée par le poids des traditions et inéluctablement attirée par le mode de vie occidental.
fig. 8
fig. 9
Le traumatisme de la guerre Iran-Irak apparaît chez Neda Moradi. Avec Fear of darkness, elle raconte son enfance entièrement passée dans la terreur de voir des soldats s’introduire dans sa chambre ( fig. 10).
fig. 10
Enfin, dans sa vidéo » Iran unveiled and veiled again », la réalisatrice Firouzeh Khosrovani raconte avec nostalgie l’histoire du voile islamique, abolit en 1936 pour redevenir obligatoire en 1979.
En Iran, on dit souvent que le changement se fera grâce aux femmes et aux jeunes. Pour Fery Malek-Madani “cette génération d’artistes est véritablement porteuse d’espoir“. Malgré tout ce qu’on a voulu lui inculquer et après plus de trente ans d’autoritarisme et de dictats religieux, elle arrive à garder une ouverture et une liberté d’esprit qui forcent le respect.
Une génération d’artistes iraniennes qui n’est pas dupe et qui attend patiemment son tour ? A aller découvrir d’urgence jusqu’au 1er février au Parlement Européen**.
Infos pratiques: Séance de rattrapage à Athènes (mi-février à mi-mars à la Fondation Michael Cacayonis) puis à Varsovie ( mi-mars à mi-avril au Musée Ethnographique) pour ceux qui auraient raté Unexposed à Bruxelles.
Remerciement: Merci infiniment à Fery Malek-Madani de m’avoir accordé quelques heures de son précieux temps et de m’avoir autorisé la reproduction des photos sur artbruxelles.
* Unexposed, Tour & Taxis, Bruxelles du 9 Novembre au 25 décembre 2012.
** Unexposed, Parlement Européen, Bâtiment Spinelli, Bruxelles, du 28 janvier au 1er février 2013
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