Récemment
Le Monde.fr a publié, sous le titre hélas fort révélateur :
« Les crispations alarmantes de la société française », les
résultats d'une
enquête d'Ipsos, intitulée « France 2013 : les nouvelles
fractures ». Cette enquête, déjà assez largement commentée, est à la fois
édifiante et inquiétante.
Edifiante car elle nous en apprend beaucoup sur l'état de notre société.
Inquiétante par ce qu'elle nous apprend justement.
Sans y revenir en détail, nous serions quand même 70% à considérer qu'il y a
trop d'étrangers en France, 62% à trouver que les hommes politiques sont pour
la plupart corrompus, 58% qu'il faut prendre plus aux riches, 56% que les
chômeurs, s'ils le voulaient pourraient trouver du travail, 61 % que la
mondialisation est une menace et enfin nous serions 51% à être convaincus que
« le déclin de la France est inéluctable ».
En dehors de tous ces rejets, que nous reste t-il ?
Tout d'abord notre bon gros Etat, dans les bras duquel nous nous pelotonnons
douillettement à l'abri de tous les ennemis du monde extérieur...et intérieur.
Il nous reste également le désir d'un chef, d'un « vrai
chef » « pour remettre de l'ordre » dans tout ce
capharnaüm.
On trouve réunis dans ces résultats, tous les symptômes du populisme, avec
ses boucs émissaires, son « tous pourris », ses medias qui sont aux
ordres, son rejet de l'étranger et sa recherche de l'homme fort et
providentiel.
Bien entendu, s'en étonner et s'en déclarer outré est insuffisant. Il faut
tenter d'en comprendre les raisons et des raisons il y en a qui méritent
certainement d'être considérées autrement qu'à travers des jugements faciles,
simplistes et moralisateurs.
Je n'ai pas cette prétention, mais je ne peux m'empêcher de considérer que
se replier frileusement entre les 4 murs de sa nation est la pire des réactions
face à la crise que nous subissons.
Il y a dans tout cela comme une sorte de fatalisme morbide. Le déclin de la
France est inéluctable (51%), en conséquence il ne sert à rien de réagir,
faisons donc comme l'autruche, mettons notre tête dans le sable, un sable bien
à nous tant qu'à faire, et attendons que ça passe.
Hasard du calendrier comme aurait dit un journaliste, presque simultanément
à la publication de cette enquête, douze écrivains européens constatant partout
en Europe la même montée du populisme, appellent à réagir d'urgence. Dans une
tribune publiée également par le Monde et d'autres journaux européens, ils
prônent l'union politique européenne, seul moyen selon eux de contrecarrer la
« montée de ces populismes, de ces chauvinismes, de ces idéologies
d'exclusion et de haine ».
Cette tribune rejoint l'avis de beaucoup d'économistes, de politiques et
d'intellectuels pour lesquels, l'intégration européenne voire le fédéralisme
sont les seuls moyens d'empêcher l'Europe de tomber dans le déclin économique,
politique, culturel et social.
Quelle contradiction avec l'opinion des peuples lorsqu'on voit que 65 % de
français considèrent, qu'au contraire, il faut « renforcer les pouvoirs de
décision de notre pays, même si cela doit conduire à limiter ceux de
l'Europe » !
Il y a clairement un écart entre la volonté des élus de sortir l'Europe du
bourbier dans lequel elle s'est enlisée depuis le traité de Nice et
l'élargissement, et le sentiment de défiance des populations vis-à-vis de
celle-ci.
Difficile d'expliquer ce phénomène et je ne m'y hasarderai d'autant moins
que d'un pays à l'autre les raisons de cette défiance peuvent être différentes
comme l'ont été celles des français et des néerlandais pourtant d'accord pour
voter « non » au traité constitutionnel en 2005.
Cette contradiction pose une question essentielle pour nos démocraties. Pour
peu qu'ils en aient le courage, et à partir du moment ou ils sont convaincus,
comme ces écrivains, que « ou bien l'Europe fait un pas de plus mais
décisif dans la voie de l'intégration politique, ou bien elle sort de
l'Histoire et sombre dans le chaos ", nos gouvernant doivent-ils imposer
l'intégration européenne, aux peuples ?
Doivent-ils imposer leurs convictions au risque de creuser encore un peu
plus le fossé qui existe entre les « élites » et « le
peuple » ...doivent-ils sauver les peuples européens du
« chaos » malgré eux, au risque de sembler donner raison aux
extrémistes de droite comme de gauche ?
A cette question précise, et compte tenu de l'état d'urgence auquel nous
sommes confrontés, je serais tenté de répondre oui. Certes la démocratie n'en
sortirait pas renforcée mais ou en serait l'Europe si nos si décriées
« élites » ne l'avaient pas initiée, construite et portée à bouts de
bras depuis 50 ans !
Et surtout ou en sera la France dans 50 ans si elle s'obstine dans ce suicidaire repli sur elle-même ?