(Voici mon récit de la cérémonie du thé, telle que je l’ai imaginée.
Les montagnes défilent devant ses yeux depuis quelques heures. A l’abri dans le train, elle les observe se métamorphoser passant de formes triviales bourgeonnant d’immeubles, à des pentes accidentées saupoudrées de neige douce pour se changer en ombres enveloppantes qui donnent l’impression d’être tout entier dans une estampe.
A mesure que la route se déplie, elle voit s’aplanir les sillons de son front et elle espère qu’il en sera de même dans son esprit, la libérant de ses préoccupations.Lorsque le train s’arrête annonçant son terminus en langue étrangère, elle hisse son sac sur son dos avec difficulté. Elle s’engage sur le chemin étroit qui s’écarte de la route, sans se retourner. Elle arrive au pied de la montagne et à sa grande surprise, au bout du chemin, elle la voit s’ouvrir à quelques mètres d’elle.
Au sommet, son corps lui signifie qu’il sait que la route est presque terminée, en envoyant son message directement à ses sphincters et sa gorge asséchée.
Le maître est dans le jardin, serein. En voyant son expression de fatigue, les bords de ses lèvres s’étirent délicatement en un sourire et elle vient à sa rencontre. Sa voix est douce et son air bienveillant. A sa surprise c’est une femme délicate, qui semble percevoir la saveur de chaque chose. Sans cérémonie le maître l’enjoint à la suivre.
Elles prennent place autour de la table, assises en seiza. Elle jette un coup d’œil aux idéogrammes dessinés sur des simples feuilles de papier qui sont accrochées aux murs. La décoration rappelle le dénuement de la saison, comme si la nature toute entière était en sommeil, fourmillant de vie en deçà. Le maître a apporté avec elle certains ustensiles, et prend place à côté de la jarre d’eau. Elle sort son kaishi, de sa chemise de coton, prévoyant la dégustation de sucreries. Lorsqu’elle relève les yeux le maître lui tend les mignardises avec un regard profond. Ses papilles stimulées, s’adoucissent et caressent doucement la texture fondante de ces mets délicats. Pendant ce temps le maître nettoie les ustensiles, et elle a brusquement l’impression qu’elle s’empare de chaque partie de son esprit, pour la purifier. Entre ses doigts le fouet, devient son sentiment de hiérarchie, de pouvoir sur les autres et de mélange au sens large. Elle sent tout ça devenir plus sain. Le maitre dispose les ustensiles dans un ordre particulier avant de verser une petite quantité de poudre verte dans le bol. Le thé… Elle y adjoint l’eau qu’elle a préalablement sélectionnée selon son goût, avant de battre le tout dans le bol.
Un premier parfum se dégage du geste. Comme l’eau et la porcelaine délicate, elle s’imprègne des arômes du breuvage millénaire. Cela fait naitre dans son esprit de premières images, un paysage gracieux, des fruits pleins et juteux, un Eden. Doucement la boisson glisse dans son corps, l’apaise et enrichit ses représentations.
Mais dans cet état d’éveil, elle tend la main vers la route tandis que ses doigts reproduisent la forme du lotus. Son corps traduit le message profond de ses origines, rappelant le profond message de l’Abhinaya Darpana
« Là où va la main, l’œil suit;
là où va l’œil, va l’esprit;
là où va l’esprit se trouve le cœur;
là où se trouve le cœur est la réalité
de l’être, le siège de l’âme. »
Rencontre des sens et des cultures, union avec la Nature, la succession appliquée des gestes a fait éclore avec clarté la finalité de son existence, et lui donne la certitude de traduire par le corps, ses émotions.