A propos de Zero Dark thirty de Kathryn Bigelow
Jessica Chastain
Dans le jargon militaire américain, Zero Dark thirty signifie minuit passé de trente minutes. C’est aussi l’heure à laquelle a débarqué à Abbottabad (Pakistan) une unité des Forces Spéciales américaines pour tuer Oussama Ben Laden le 2 mai 2011, dans la forteresse où il se cachait.
Le nouveau film de Kathryn Bigelow (Démineurs, 2008) est le récit très étayé et chronologique des évènements (dont des attentats un peu partout dans le monde) qui ont conduit à la traque et à l’assassinat du chef d’Al-Qaïda.
Construit comme une véritable enquête doublée d’un thriller mené tambour-battant, Zero Dark thirty est passionnant pendant les deux heures trente qu’il dure. La mise en scène est enlevée (merci à Alexandre Desplat pour ses compositions inspirées de la série des Bourne) et change à merveille de rythme, ce qui rend le film assez captivant jusqu’à un final épique, grâce notamment à l’utilisation de la caméra numérique et haute technologie Arriflex Alexa. « Un choix très précis, motivé en partie par la nécessité de tourner le raid d’Abbottabad avec un minimum de lumière » s’est expliquée Kathryn Bigelow dans une interview, ajoutant qu’avec « ces caméras très sensibles », elle a ainsi pu « utiliser des sources lumineuses aussi faibles et douces que possible, ce qui a permis une simulation optimale d’une nuit sans lune. L’Alexa donne en effet aux images « une texture unique qui ne s’apparente ni à du 35 mm ni à du numérique. La netteté n’est pas parfaite, le rendu est un peu grenu, mais avec une large échelle de couleurs qui permet une image dense, saturée et riche ».
Zero Dark thirty s’appuie sur un casting monumental, de Jessica Chastain à Joel Edgerton en passant par James Gandolfini, Mark Strong ou le Français Reda Kateb. Et on en passe… L’action est filmée depuis le point de vue de Maya (Jessica Chastain), une analyste acharnée de la C.I.A. qui a permis directement de retrouver Ben Laden.
Si Bigelow s’est inspirée d’un personnage qui a réellement existé au sein de la C.I.A., l’identité de cette Maya reste un mystère et à ce jour inconnue. On n’est même pas sûr que Maya était bien une femme. Seule certitude, les traits de caractère (détermination, acharnement, etc…) de la pas commode ni conciliante analyste de la C.I.A. interprétée par Chastain sont tout sauf une pure fiction.
James Gandolfini
Mais l’enjeu de Zero Dark thirty est ailleurs. Délaissant le côté spectaculaire de Démineurs, Kathryn Bigelow a privilégié une enquête minutieuse et le souci de véracité dans la description d’actes (depuis longtemps avérés) de torture commis par l’arme américaine sur des prisonniers après le 11 Septembre 2001. L’absence de compromis, de consensus marquent la mise en scène de Bigelow. Loin d’être complaisantes, les scènes de tortures auxquelles on assiste sont montrées avec un réalisme crû mais qui force l’admiration. L’admiration parce que le regard de la réalisatrice américaine se situe à l’exact endroit où l’on attendait qu’elle prenne un recul critique et sans concession sur les actes vengeurs et de barbarie qu’a commis l’Armée américaine avant de devoir stopper ses méthodes « musclées » suite au scandale qu’elles ont déclenché sur le Net et que l’on connait (des photos d’actes d’humiliation sur des prisonniers avaient largement filtré sur la toile).
Le film à sa sortie aux Etats-Unis a créé un véritable débat pour ne pas dire un tollé dans l’opinion américaine et chez les opposants à Barack Obama au moment des dernières élections présidentielles américaines, Obama ayant personnellement supervisé l’opération commando du 2 mai 2011. On s’étonne que le film créé autant de polémique alors que ce qui est raconté dans Zero Dark thirty est en gros à peu près vrai de A à Z. Le film fait beaucoup débat à cause des scènes de torture que l’on y voit, à travers notamment la technique du waterboarding, très contestée par l’Armée Américaine, qui a dû crier au loup et à l’affabulation sur ses méthodes employées pour faire parler bonne figure.
L’indignation qu’ont suscité les scènes de torture dans Zero Dark Thirty est étonnante quand on mesure la distance critique, l’honnêteté intellectuelle avec lesquelles la réalisatrice les montre. Doit-on voir chez ceux qui contestent ces actes de torture de la mauvaise foi voire ? Existerait-il encore des aveugles qui ne voudraient savoir qu’elles ont existé ?
Le scénario très étayé de Mark Boal va de pair avec une mise en scène précise et rigoureuse. Courageusement, Bigelow n’hésite pas à montrer comment Ben Laden a été descendu froidement comme plusieurs femmes dans sa forteresse.
A ce titre, Zero Dark Thirty est un grand film qui permettra sans doute à l’Amérique d’avancer, et à tout un pays de pouvoir se regarder en face. En lavant les tâches qui ont récemment sali son armée par exemple…
http://www.youtube.com/watch?v=YSqaM1i2wzA
Film américain de Kathryn Bigelow avec Joel Edgerton, Jessica Chastain, Mark Strong… (02 h 29)
Scénario de Mark Boal :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions d’Alexandre Desplat :