Un peu long le papier de Monsieur Jean-Dominique GIULIANI, mais il mérite la lecture, pour le petit souffle d'espoir sur l'avenir de nos enfants ! Ces 7 portes sont véritablement une ouverture sur un Avenir confiant pour la France. Et ce qui ne gâte rien l'Outre-Mer et donc la Guadeloupe y a sa place !
L’idée de transition stratégique porte en elle le concept de passage d’un état à un autre, d’un système de relations internationales à une autre situation stable, dans laquelle chacun retrouve ses marques à partir de règles du jeu connues. Et si cela n’était pas le cas ? Si le mouvement de globalisation menaçait de ne point ralentir avant longtemps ? Ce serait à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. En effet, dans l’histoire des relations internationales, les périodes de stabilité relative ont toutes succédé à des conflits majeurs et il n’y en a pas, pour l’instant, à l’horizon. Mais, par ailleurs, une telle période de transformations rapides épuise les nations et les peuples, bouleverse les codes établis et recèle de multiples surprises. Elle est un défi permanent à la stabilité internationale. Nul ne peut trancher cette question mais il est néanmoins probable que l’actuelle période de mutation sera longue, qu’elle a déjà produit des effets sur lesquels on ne reviendra pas ; et qu’elle offre des occasions favorables aux acteurs internationaux et à la France en particulier.
Les effets conjugués des évolutions ont conduit à un rééquilibrage des richesses dans le monde. Le développement de l’Asie en est l’une des illustrations les plus spectaculaires. C’est une tendance durable, vraisemblablement irréversible. Les États ont dû s’y adapter, au prix de mutations considérables, qui ouvrent des perspectives nouvelles, comme des « portes » ouvertes vers l’avenir.
La première est « la porte des libertés », celle des droits de la personne
Malgré un tableau encore trop sombre, ils ont progressé partout et la chute du mur de Berlin comme le tournant idéologique chinois expriment une aspiration des peuples à la liberté. C’est bien sous la pression populaire que les États non démocratiques s’ouvrent aux
échanges de personnes et de biens. En transition, le sens de leur cheminement ne doit pas faire de doute : l’ouverture à plus de libertés reste une condition de la création de richesses et avec le développement vient la demande de liberté.
Les secondes pourraient être appelées « les portes du ciel »
95 % des citoyens de la planète se réclament d’une religion. Dans la croyance au ciel, s’exprime l’espérance de jours meilleurs mais aussi l’identité, c’est-à-dire le sentiment d’appartenance à une communauté. Nos États laïcs l’ont un peu oublié et l’histoire les rattrape. Partout dans le monde, les religions se renforcent parce qu’elles apportent à l’homme ce qu’aucune autre organisation humaine ne peut lui offrir, une espérance de libération des contingences terrestres. L’acceptation et le respect des religions, leur dialogue, leur intégration dans la société, font partie des principaux défis des
années à venir. Et nous ne saurions les relever en ne voyant que les fondamentalismes, c’est-à-dire l’instrumentalisation politique des religions, qu’il faut évidemment combattre.
La troisième est « la porte des sciences »
Le progrès technique s’est emballé. Contesté parfois pour les questions éthiques qu’il soulève, il semble irréversible et l’augmentation de la population mondiale est son meilleur moteur. Ce sera « toujours plus » d’inventions et leurs applications à tous les processus de la vie humaine. L’histoire nous enseigne qu’on ne l’arrête pas et qu’il ne peut, d’ailleurs, qu’être freiné provisoirement.
La quatrième devrait être surnommée « la porte des petits oiseaux »
Les exigences environnementales font désormais partie du développement humain. Depuis Al Gore et sa « vérité qui dérange », l’être humain a peur pour la planète. Et des générations de citoyens du monde se forment à une économie plus respectueuse de l’environnement, au point qu’il est difficile aujourd’hui de construire un aéroport ou une ligne de TGV.
La « porte des océans »
Il n’y a plus de terres inconnues, il reste des abîmes ignorés. Les techniques d’extraction (profonde) et d’exploitation of shore (pétrole, gaz, éolien) progressent chaque jour et de nouvelles ressources apparaissent exploitables au fond des océans (minerais rares,
énergie hydraulique). C’est de la mer que viendra la croissance future et c’est donc d’elle que dépendra largement la puissance de demain. Déjà 80 % de la population mondiale vit sur le littoral. « La mondialisation prend le bateau » (4) et plus de 120 000 navires transportent déjà 90 % du fret mondial. De nouvelles routes maritimes (passages du Nord) s’ouvrent où s’écrit la reconfiguration des échanges. L’économie maritime représente un chiffre d’affaires de 1 500 milliards $, le second après l’agroalimentaire (5) qu’elle va bientôt dépasser, 5 % du PIB européen et 305 000 emplois en France. Après la
conquête des continents et le tracé des frontières terrestres, vient désormais celle des océans, des frontières et des routes maritimes, ainsi que l’écriture d’un nouveau droit de la mer. Les budgets des marines croissent de plus de 2,2 % par an, le double de l’aviation et
de 9,3 % pour les seuls BRIC (6). Le futur théâtre des rivalités et des affrontements pourrait bien être l’horizon liquide. Pour la France, dont la zone économique exclusive est la deuxième du monde (8 % de l’espace maritime), il y a là un grand défi à relever, capable de mobiliser l’ensemble de la nation.
La « porte européenne » est grand-ouverte. Est-il provocant d’affirmer que la construction européenne est irréversible, alors qu’elle est frappée par la première vraie crise due à ses propres dysfonctionnements ? Ses réactions, toujours trop lentes pour les marchés financiers, difficiles à décider à 27, sont pourtant au rendez-vous. L’Union a plus changé en quatre ans que depuis son origine.
Elle a créé un Fonds monétaire européen (7), organisé une véritable Union budgétaire et bientôt une Union bancaire, mobilisé directement ou indirectement l’équivalent de plus de deux plans Marshall (2 000 milliards €) si l’on additionne les aides directes aux États en difficulté (400 milliards), les crédits de la Banque centrale européenne (8), le sauvetage des banques (9) et les plans de relance. Et cela, malgré les règles prudentes qu’elle s’était fixées. Pour répondre à la crise mondiale, l’intégration européenne s’est accélérée. Aujourd’hui, l’Europe communautaire, qui n’est pas à l’origine de la crise, fait partie des
solutions pour en sortir. Continent le plus riche de la planète (10), dont le modèle de pacification et d’économie sociale de marché est envié partout, l’Europe dispose d’atouts considérables pour conserver son rôle aux tout premiers rangs. Il reste à en convaincre ses
citoyens et surtout ses gouvernants. On ne reviendra pas sur l’intégration européenne. Serons-nous assez courageux pour la parachever par des avancées audacieuses ?
Les portes de la guerre
Dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu (11), pour montrer ses intentions pacifiques envers les Grecs, Hector fait fermer les « portes de la guerre », qui ne s’ouvriront de nouveau qu’à l’issue d’une provocation. Les « portes de la guerre » sont-elles aujourd’hui ouvertes ou fermées ? L’absence de risque d’un conflit mondial immédiat est une
constatation généralement admise. Cela ne signifie en aucune manière un monde pacifique. Les conflits sont géographiquement limités. Le Moyen-Orient reste une poudrière, chauffée à blanc par la revendication islamiste et les révolutions arabes. Les divisions ethniques, la faiblesse des structures étatiques, les guérillas, entretiennent des foyers
d’affrontements. Les rivalités s’exacerbent au fur et à mesure que la concurrence s’accroît et que les rapports de puissance s’inversent. Un mouvement de territorialisation fait resurgir les barrières, les murs et les frontières, même sur les mers, devenues des enjeux stratégiques, comme le montre l’Asie. Le monde n’a pas désarmé et les nouveaux
venus s’arment à grande vitesse.
Pour les États, la situation est bien complexe à saisir. L’usage de la force armée est devenu très contraint. D’une part, les conflits récents (Irak, Afghanistan) ont démontré que l’action des meilleurs corps expéditionnaires ne pouvait être que temporaire, limitée et organisée en coalition ; d’autre part, que l’outil militaire était de plus en plus sollicité, y compris pour des tâches civiles (Frontex, lutte contre l’immigration clandestine ou les trafics, catastrophes naturelles). Les forces armées demeurent le seul corps social totalement
entraîné, strictement encadré, discipliné et équipé à la hauteur des défis élargis auxquels les États doivent faire face. Il leur faut, en outre, affronter les menaces certaines que sont le terrorisme et la grande criminalité. Enfin, les États ne peuvent faire abstraction des risques et des menaces non encore apparus et doivent maintenir des armées capables d’assurer toutes leurs missions, y compris traditionnelles, dans un contexte de « surprise stratégique ». Le nucléaire militaire a encore un long avenir. C’est vraisemblablement pour cela que nombre d’États veulent s’en doter et que la prolifération demeure un réel danger. La France doit préserver son outil militaire et les Européens s’en doter. Car les « portes de la guerre » laissent toujours passer un glaçant courant d’air... Il a, par exemple, en ce moment, l’odeur de la Perse lointaine.
Ces sept portes dessinent les atouts de la France pour l’avenir. État de droit à la laïcité codifiée et acceptée, mettant en œuvre des savoir-faire technologiques reconnus, engagée dans la protection de l’environnement, disposant du deuxième territoire maritime mondial, fondatrice de l’Europe communautaire, s’appuyant sur des forces armées de tout premier plan, la France peut franchir ces portes en profitant des occasions favorables que lui offre le nouveau monde.
À condition de le décider, de se mobiliser et d’y mettre de l’enthousiasme.
(4) Rapport d’information n° 674 sur la maritimisation, déjà cité.
(5) 2 000 milliards $.18
(6) Brésil, Russie, Inde et Chine.
(7) Le Mécanisme européen de stabilité.
(8) LTRO : 1 000 milliards €.
(9) 1 124 milliards €.
(10) 20 % du PIB mondial et 40 % du commerce international.
(11) Jean Giraudoux : Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 1935.19
Source : La Lettre de la Fondation Schuman : http://www.robert-schuman.eu/