La compétitivité des entreprises d’abord !
C’est l’objet premier de l’accord, dès son titre : instaurer un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises. De ce point de vue, il y a pléthore de mesures, même si l’on aurait toujours pu espérer mieux. Surtout, ces mesures opèrent un changement radical de paradigme sur deux points.
S’agissant, en premier lieu, du dialogue social, celui-ci sort incontestablement renforcé de la négociation nationale interprofessionnelle.
D’abord, parce que les partenaires sociaux sont parvenus à un accord, ce qui n’était pas forcément écrit. Et si les motivations des signataires relèvent souvent plus de la stratégie politique interne (conflits de succession à la CFE-CGC ou au MEDEF ou encore volonté de conforter sa ligne réformatrice pour la CFDT) qu’économique, il n’en reste pas moins que le texte retenu servira de base aux travaux « encadrés » du Parlement.
Ensuite, parce que l’ANI place la négociation, de branche ou d’entreprise, au cœur de l’ensemble du dispositif, qu’il s’agisse par exemple des discussions à venir de la convention d’assurance chômage (droits rechargeables), de l’activité partielle ou de la généralisation des complémentaires santé.
Enfin, parce que la négociation d’entreprise va permettre la mise en œuvre conventionnelle de véritables outils de flexibilité que sont le PSE négocié ou les accords de maintien dans l’emploi. Ces deux mécanismes vont permettre l’adaptation de l’entreprise aux turbulences du marché, en accord avec ses partenaires sociaux et dans un cadre sécurisé, respectueux des droits des salariés. Au regard des derniers soubresauts de la jurisprudence Vivéo, ce n’est plus une réforme…c’est une révolution !
On notera d’ailleurs, dans ce nouveau cadre, que l’accord d’entreprise se devra d’être strictement majoritaire, c’est-à-dire conclu par des organisations syndicales représentatives représentant au moins 50 % des salariés. N’est-ce pas là, finalement, la principale évolution, appelant une future réforme des règles de validité des conventions et accords collectifs de travail ?
S’agissant, en second lieu, du contrat de travail, l’ANI remet en cause l’un des fondements de notre droit du travail, la dichotomie entre, d’une part, la modification du contrat, reposant sur l’accord du salarié et, d’autre part, le changement des conditions de travail que l’employeur peut imposer unilatéralement. Deux exemples : celui de l’article 15 de l’ANI, prévoyant que l’employeur pourra opérer, au sein de l’entreprise, des mesures collectives d’organisation prenant la forme, notamment, d’une mutation que le salarié ne pourra pas refuser, même lorsqu’elle modifie son contrat de travail, sous peine d’être licencié pour motif personnel ; L’article 18 de l’ANI, retenant, quant à lui, contrairement à la jurisprudence constante, que l’accord de maintien de l’emploi s’impose au salarié… même si l’assentiment de ce dernier devra être obtenu. Il n’en reste pas moins que son refus constituera une cause économique de rupture du contrat de travail sans application des règles propres à ce type de licenciement.
Dans ces deux cas, on est clairement dans la situation inédite d’une modification unilatérale du contrat de travail, quand bien même l’on n’en tire pas encore toutes les conséquences qui auraient dû s’imposer.
Au-delà, les mesures favorables aux entreprises sont encore nombreuses comme, par exemple, la sécurisation de la rupture du contrat de travail (barêmisation des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse devant le bureau de conciliation, réduction des délais de prescription) ou l’atténuation des effets de seuils, comme le réclamait la CCIR Paris Ile-de-France. Et si l’on pourra regretter que la notion de motif économique de licenciement ou le cadre d’appréciation de celui-ci (groupe vs entreprise voire établissement) n’aient pas été abordés, il est certain que, côté patronat, on ne pouvait espérer meilleur accord.
La sécurisation de l’emploi ensuite…
Les syndicats sont plus partagés sur le résultat de la négociation. On rappellera que seuls trois d’entre eux, dont deux minoritaires (la CFTC et la CFE-CGC) signeront le texte. Surtout, si l’ANI comprend effectivement des mesures de sécurisation de l’emploi, celles-ci sont conditionnées à des négociations à venir, suspendant leur en œuvre.
Il en va ainsi de la généralisation des complémentaires santé. Si celle-ci concerne près du quart des salariés français, le plus souvent dans les TPE et PME, elle est toutefois conditionnée aux négociations de branche, l’ANI prévoyant, à défaut, un dispositif obligatoire, applicable à compter …du 1er janvier 2016 !
Il en va également des droits rechargeables à l’assurance chômage, appelant une négociation de la convention UNEDIC sous réserve que le nouveau dispositif ne grève davantage les comptes. Rappelons, pour mémoire, que le déficit de l’assurance chômage devrait atteindre 5 milliards d’euros pour la seule année 2013…
Il en va de même, enfin, de la mutualisation du financement de la portabilité des garantie santé et prévoyance ou encore de l’encadrement du temps partiel, tous deux soumis, une nouvelle fois, au sort de négociations de branche.
Seules mesures qui devraient, finalement, trouver rapidement une traduction concrètes : la majoration des cotisations d’assurance chômage pour les CCD de courte durée ; le renforcement de l’information consultation des représentants du personnel au moyen dans l’entreprise, d’une base de données unique mise à jour régulièrement par l’employeur ; la création d’un compte personnel de formation, intégralement transférable. Des avancées notables, certes. Mais peut-on vraiment dire que le compte y est ?
Et maintenant ?
Au total, l’accord constitue un véritable progrès en termes de flexisécurité et ce n’est pas la CCI Paris Ile-de-France qui s’en plaindra tant elle a plaidé sur ce terrain.
Mais le véritable enjeu est désormais devant le Parlement chargé de traduire « le plus fidèlement » l’ANI dans la loi. De ce point de vue, les partenaires sociaux devront se montrer extrêmement vigilants, les règles du jeu parlementaire conduisant parfois à l’adoption d’amendements au corps défendant de la majorité. A ce titre, les entreprises devront être particulièrement attentives à ce que des parlementaires avisés n’introduisent dans le projet de loi des dispositions nouvelles relatives à la cessions forcée de sites industriels viables, sujet que les partenaires sociaux ont judicieusement pris le soin d’écarter et qui méritera une réflexion beaucoup plus ouverte.