Magazine Humeur
Et à ce moment précis, David Douillet se rappela qui il était vraiment. Un Judoka et un champion. Sixième Dan (Roku-Dan), double champion olympique 1996 et 2000, Champion du Monde à quatre reprises et Champion d'Europe. Ce palmarès faisait de lui le plus grand judoka français de l'histoire et l'un des plus grands combattants de l'histoire du judo mondial, et qui plus est un sacré bestiaux de 1m96 pour 120 kilos.
Lorsqu'il regarda la foule autour de lui, les cris de haine et les vociférations qui s'échappaient de la masse grise massée sur le bord de la chaussée ne lui parvenaient déjà plus. Un silence cotonneux lui emplissait les oreilles, le coupait de l'extérieur. Son entrée sur le tatami de Sydney lors de la finale des Jeux de 2000 lui revint instantanément en mémoire. Il ressentait le même sentiment de sérénité, la même envie de laisser ce grand corps puissant et généreux s'exprimer, puiser dans ses réserves, soulever des montagnes. Il était le favori, l'arbre à terrasser, et il était prêt pour cela. Prêt à tout. Absolument tout.
David Douillet entendit soudain son nom scandé, accompagné de nom d'oiseaux et de cris, de sirènes de police. Il regarda l'officiel chinois en survet bleu-ciel agripper la flamme et l'éteindre. Sa flamme. Son rêve. Il ne savait donc pas qu'on retire ses lunettes avant de parler à quelqu'un. Mais le policier chinois ne parlait à personne, uniquement à un micro-cravate. L'officiel chinois pensait que la mascarade avait assez durée, que des images, ils en avaient déjà bien assez comme ça. Alors David Douillet posa sa main droite sur le col de l'officiel chinois, juste derrière le cou, et il le tira machinalement vers le sol, comme il avait appris à le faire. Cela suffit à mettre à terre l'homme en bleu qui hurlait de douleur dans son micro-cravate.
Une clameur s'éleva de la grisaille, sembla rebondir entre les piles du pont qui enjambait la Seine.
David Douillet trottait fièrement. La flamme olympique sans flamme, sans lueur, dans sa grosse pogne avait fière allure. Des drapeaux tibétains, chinois, français, mais aussi des drapeaux ornés des anneaux olympiques s'agitèrent alors dans tous les sens. david Douillet dégagea un à un les petits hommes bleus qui se précipitaient sur lui. Quand l'un d'eux mit la main à sa ceinture pour dégainer sa grenade lacrymogène, le fonctionnaire Miroslav Kierkowski, de la CRS 112, n'oublia pas son club de judo de Nancy. Il pensa à son maître (et aussi à Michel Platini qui était son héros) en collant une gifle à l'impétrant sous les hourras d'un groupe de tibétains. David Douillet remonta la rampe d'accès du pont sous les hurlements. Les chaînes de télé du monde entier interrompirent leurs programmes, le monde entier semblait suspendu au bon vouloir de ce type trop gras dans sa tenue de sports improbable. Une cohue indescriptible s'était mise en branle. Une sorte de mouvement perpétuel, comme une boule de neige qui dévale une montagne. Les caméras se précipitaient. Des types se vautraient sur le bitume en se prenant les pieds dans les cables. Chacun voulait son image, un mot du champion. Tout le monde criait, des filles hurlaient son nom, un hélicoptère survola la scène à basse altitude et un léger rayon de soleil fit son apparition. Ce qui est certain, c'est que David Douillet souriait.