Les exemples de privatisation ratée sont régulièrement avancés par les détracteurs de la privatisation de l'eau. Pourtant, dans un cadre favorable à la concurrence et à la libre-entreprises, elle est bénéfique à l'économie et aux consommateurs.
Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec.
Non seulement ils paient plus cher pour leur eau, mais en plus ils perdent de précieux revenus de travail à chaque jour à la transporter : un coût très élevé. Cette situation les enchaîne à un état de pauvreté récurrent. Donc, ces gens manquent d’eau parce qu’ils sont pauvres et sont pauvres parce qu’ils manquent d’eau : un véritable cercle vicieux.
Pourtant, à chaque année, il tombe 113.000 kilomètres cubes d’eau sur la terre, desquels 72,000 km3 s’évaporent à nouveau, ce qui en laisse 41.000 km3, ce qui équivaut à 19.000 litres par personne par jour. Au Cambodge, au Rwanda et en Haïti, seulement 32%, 41% et 46% respectivement de la population ont accès à l’eau potable même si ces pays ont plus de précipitations annuellement que l’Australie, où 100% de la population a accès au réseau d’aqueduc. La ville où il y a le plus de précipitations au monde, soit Cherrapunji en Inde, fait constamment face à des pénuries d’eau potable.
Donc, il y a amplement d’eau potable sur la terre, le problème n’est pas là, mais réside plutôt dans l’accessibilité, le transport et la distribution de cette eau aux gens. Cela requière des infrastructures, lesquelles nécessitent des investissements pour être construites, lesquels nécessitent l’accumulation de capital. Or, le contexte institutionnel de ces pays ne favorise pas l’épargne et l’investissement. Dans la plupart des pays, les aqueducs appartiennent à des gouvernements et sont opérés par des gouvernements, lesquels ont démontré une bien piètre performance dans ce rôle. Par ailleurs, dans les pays pauvres qui souffrent de pénuries d’eau, le gouvernement ne dispose pas de suffisamment de capital pour garantir l’accès à l’eau, d’abord parce qu’il n’y a pas suffisamment de richesse à taxer et ensuite parce que l’argent des taxes est dilapidé en bureaucratie et en corruption. Le résultat est un sous-investissement chronique dans les infrastructure, ce qui laisse des millions de gens sans accès au réseau.
La privatisation des aqueducs est généralement associée à une hausse des tarifs. Après des années de sous-investissement par le gouvernement, c’est le prix à payer pour obtenir le capital nécessaire à financer les investissements dans le réseau, pour améliorer la qualité de l’eau, sa quantité ainsi que d’augmenter le nombre de foyers qui y ont accès. On remarque que dans la plupart des régions, les tarifs d’aqueduc sont beaucoup trop bas, ce qui équivaut à une subvention pour les grands consommateurs d’eau et les mieux nantis, sur le dos des pauvres qui n’ont pas du tout accès au réseau, et des contribuables qui absorbent les pertes des sociétés d’aqueduc. En moyenne, les gens qui n’ont pas accès au réseau d’aqueduc paie 12 fois le tarif pour leur eau. Pour eux, même après l’augmentation du tarif post-privatisation, cette eau provenant de leur nouvel accès au réseau d’aqueduc est une véritable aubaine ! Comment s’assurer que les plus pauvres puissent obtenir assez d’eau pour survivre ? Le meilleur moyen consiste simplement à leur octroyer des coupons leur donnant accès à une quantité d’eau minimale, plutôt que de forcer les tarifs à la baisse auprès de la société d’aqueduc. On conserve ainsi l’incitatif à investir dans le réseau.
Qu’est-ce qu’une privatisation ? En fait, ce mot a été utilisé à tort et à travers à chaque fois qu’une entreprise privée a été impliquée de près ou de loin avec la distribution d’eau. Plusieurs « privatisations » ont été mal ficelées et n’ont été que des mascarades de beaux principes non-appliqués. En réalité, il n’existe à peu près pas d’exemple de véritable privatisation dérèglementée des actifs d’une société d’aqueduc. En fait, on retrouve cinq niveaux d’implication du secteur privé :
- Un simple contrat de service, en vertu duquel une entreprise privée veille à l’entretien du réseau.
- Un contrat d’opération, selon lequel une entreprise privée opère le réseau sans toutefois en être propriétaire.
- Un bail, qui résulte en ce que l’entreprise privée loue les infrastructures pendant une période déterminée et finie.
- Une concession, qui similaire à un bail annexé de cibles à atteindre concernant le tarif, le nombre de foyers connectés, la quantité d’eau produite, la qualité de l’eau produite, etc.
- La possession complète et définitive des infrastructures, assortie d’une réglementation par les autorités gouvernementales.
La méthode ayant donné de bons résultats est la numéro 4. Dans ce contexte, les profits des entreprises d’aqueduc privées dépendent de leur capacité à relier le plus de gens possible au réseau d’aqueduc, à réduire les coûts au minimum et à éliminer les fuites. Quant aux tarifs, ceux-ci peuvent être règlementés et les fournisseurs peuvent être mis en concurrence. Dans le monde, il y a au moins neuf multinationales impliquées dans la gestion des aqueducs et beaucoup d’entreprises locales. À Manille seulement, une cinquantaine d’entreprise ont répondu à l’appel d’offre pour la privatisation. Il n’y a donc pas d’oligopole dans cette industrie.
Cependant , il faut faire attention de ne pas simplement convertir un monopole public en monopole privé, structuré de façon à ce que l’entreprise se retrouve à viser la satisfaction des politiciens plutôt que celle des consommateurs finaux.
Cochabamba, Bolivie
S’il y a un exemple de privatisation qui a mal tourné, c’est bien celui de la Bolivie. La Banque Mondiale a certainement tenté de solutionner le problème d’accès à l’eau à plusieurs endroits dans le monde, mais s’y est bien mal pris, en subventionnant des projets médiocres, qui n’ont bénéficié qu’aux politiciens et aux firmes de construction qui les soutiennent. À cet égard, l’exemple de Bechtel en Bolivie démontre très bien la mal-habileté de l’organisme. En 2000, la Banque Mondiale exige de la Bolivie qu’elle privatise ses services d’aqueduc. À Cochabamba, c’est un consortium mené par la firme américaine Bechtel qui remporte l’enchère. Selon le contrat, les acheteurs devaient investir pour revitaliser le système existant, qui était en forte détérioration, doubler la couverture du réseau, puisque la moitié des habitants n’avaient pas accès à celui-ci alors que les autres n’y avaient accès que quelques heures par jour étant donné sa piètre condition, assumer $30 million de dette existante aux livres de l’entreprise d’État et financer l’achèvement du barrage Misicuni, un coûteux projet pourtant déficitaire que le consortium ne prévoyait pas réaliser, mais qui leur a été imposé dans leur contrat. C’est qu’un allié influent du président Banzer, le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, voulait ce barrage pourtant inutile, puisque sa construction bénéficierait à ses collaborateurs politiques.
De façon à financer ces investissements qui amèneraient le réseau d’aqueduc à un niveau presque digne des pays industrialisés (même si les habitants n’avaient pas les moyens de défrayer les tarifs associés à un tel réseau) ainsi que le coûteux barrage Misicuni, le consortium mené par Bechtel a augmenté les tarifs en moyenne de 35%. À Cochabamba, beaucoup de gens ont vu leur facture d’eau augmenter beaucoup plus que cela. C’est entre autres parce qu’auparavant, l’eau était rationnée. Il est donc normal qu’une fois le rationnement annulé, la consommation a augmenté, ce qui a fait monter la facture finale des consommateurs. Le prix unitaire lui n’avait pas tant augmenté. Par ailleurs, il n’était plus possible pour certains habitants aisés de payer des pot-de-vin aux fonctionnaires pour que leur foyer soit classé comme étant à bas revenu, bénéficiant ainsi d’un tarif réduit. Ces gens ont évidemment aussi vu leur facture augmenter. Finalement, beaucoup de gens n’avaient pas de compteur d’eau du tout, ce qui leur permettait de consommer gratuitement, situation à laquelle Bechtel a remédié. Ainsi, la résistance du peuple, surtout de ceux qui voulaient protéger leur accès privilégié au réseau, a été forte et le contrat a fini par être résilié. Les tarifs sont par la suite revenus à leur niveau initial et le réseau est resté dans un état de médiocrité précaire. La moitié des 600,000 habitants de Cochacamba n’avait toujours pas accès au réseau d’aqueduc en 2005 et ceux qui y avaient accès devaient se contenter d’un service intermittent, parfois de 3 heures par jour.
Cette privatisation a été bâclée et le processus a été mal exécuté, perverti par le lobbying et l’ingérence politique.
Manille, Philippines
À Manille aux Philippines, l’accès à l’eau était médiocre, seulement 67% des gens avaient accès au réseau, les gens devait se lever à 3hAM pour faire la file, la qualité de l’eau était mauvaise et elle devait être bouillie avant consommation. Avant la privatisation, le réseau fonctionnait en moyenne 16 heures par jour et perdait 63% de la production en fuites. Après la privatisation en août 1997, le prix de l’eau par mètre cube est passé de 8,78 pesos à 4,96 pesos correspondant à une baisse de 43% du prix de l’eau pour les consommateurs, bien inférieur à celui des vendeurs informels à 100 pesos par mètre cube. Mais, les tarifs ont dû être fortement augmentés suite à la crise asiatique et de sévère sécheresses, atteignant environ 30 pesos de nos jours, ce qui équivaut à 17 pesos ajusté pour l’inflation (notez cependant que les tarifs résidentiels sont nettement inférieur à cela, et les foyers les plus pauvres bénéficient d’une escompte de 40%). Suite à la crise asiatique, la devise du pays a perdu énormément de valeur, ce qui a fait augmenter astronomiquement le service de la dette en dollar US de la société d’aqueduc. Puis, le gouvernement n’a pas rempli ses obligations d’investissement concernant le bassin d’approvisionnement et refusé d’autres hausses de tarifs, ce qui a placé l’entreprise en situation financière critique.
Ceci étant dit, le processus de privatisation a été bâclé. Une famille bien connectée politiquement, mais sans expérience en gestion d’infrastructures (Lopez) a pris le contrôle de l’une des deux entreprises (car il y avait un maximum de 40% de propriété étrangère pour Suez) et a cherché à l’utiliser comme vache à lait. Mal gérée et incapable de stabiliser sa situation financière suite à la crise asiatique, qui a mené à une forte dévaluation du pesos et étant donné la limite de 40% d’actionnariat étranger, celle-ci s’est retirée de la concession en 2003, après avoir échoué à l’atteinte de ses objectifs. La concession a été reprise par Metro Pacific Investment et DMCI Holdings, des entreprises privées locales, en 2007. Néanmoins, l’entreprise a augmenté l’accès au réseau de 67% à 86% en 2006.
L’autre société d’aqueduc a été gérée par la multinationale Bechtel et les résultats furent bien meilleurs, celle-ci ayant surtout emprunté en pesos. L’accès à l’eau potable 24h/24 grâce aux services de MWC (Bechtel + partenaire local) a nettement progressé, atteignant 99% en 2009 contre 26 % en 1997. La réalisation de travaux importants et l’installation de conduites d’eau ont permis de pratiquement doubler le nombre de personnes bénéficiant des services d’approvisionnement en eau potable en le faisant passer de 3,1 millions en 1997 à 6,1 millions en 2009. L’eau qui était auparavant perdue, du fait des fuites et du chapardage, a été utilisée pour étendre la zone desservie par MWCI. Parallèlement, elle a réduit la quantité d’eau non facturée, ramenée à 16 % en 2009 contre 63 % en 1997. Son organisation a également été rationalisée : le nombre d’employés pour 1 000 raccordements est passé de 9,8 à 1,5 en 2009. L’entreprise est rentable et est même transigée à la bourse.
Donc en somme, la privatisation des aqueducs de Manille a été plutôt rocambolesque, mais il n’en demeure pas moins que les gens qui n’avaient pas accès à l’eau se retrouvent maintenant dans une bien meilleure situation qu’avant.
Djakarta, Indonésie
La privatisation des aqueducs de Djakarta en 1997 fut une véritable mascarade. À cette époque, les gens payaient l’eau 10 à 32 fois plus cher auprès de vendeurs informels et devaient faire la file pendant deux heures pour obtenir une eau de mauvaise qualité, dangereuse pour la santé. Le président Suharto a accordé des concessions de 25 ans à la française Suez et à la britannique Thames sans appel d’offre concurrentiel. L’arrangement avec le gouvernement était complexe, incongru et insoutenable. Ces arrangements ont bénéficié au fils du président et à ses relations. Encore une fois, la crise asiatique est venue fortement dévaluer la devise locale, ce qui a nécessité des augmentations de tarifs en 2001, 2003 et 2004.
Les résultats ont été décevants, mais une amélioration fut tout de même observée. Entre 1998 et 2008, l’accès aux aqueducs a augmenté de 46% à 64% et les fuites ont été réduites de 61% à 50%. Il s’agissait certes d’une amélioration, mais c’était tout de même en-deçà des cibles fixées par le contrat. Les tarifs quant à eux ont presque triplé en dollar courants (il faudrait ajuster pour l’inflation), mais pas pour les plus pauvres, qui n’ont pas subi d’augmentation.
Autres exemples
En 1985, les autorités de Macao ont signé un contrat de concession avec une entreprise privée concernant le réseau d’aqueduc. Résultat : la quantité et la quantité d’eau produite ont fortement augmenté. Dix ans plus tard, le PIB de la ville a triplé et ses habitants ont un des meilleurs niveaux de vie de toute l’Asie.
Au Chili, au début des années 1980, le gouvernement a octroyé des droits de propriété sur de l’eau à des fermiers, des entreprises et des municipalités. Ces droits pouvaient être transigés sur un libre-marché. Résultat : l’offre d’eau y a augmenté plus vite que dans n’importe quel autre pays. Avant cette époque, seulement 27% des Chiliens avait accès à l’eau potable dans les régions rurales et 63% dans les régions urbaines; alors que de nos jours c’est 94% et 99% respectivement, soit les pourcentages les plus élevés de toutes les nations de la catégorie de revenu moyen.
En 1997, le gouvernement du Gabon a signé un contrat avec une entreprise privée française concernant la distribution d’eau et d’électricité au pays. Le contrat comportait des cibles à atteindre concernant le pourcentage de la population ayant accès au réseau ainsi que les tarifs, qui devraient diminuer de 17.25%. Cette opération fut un succès, même si le Gabon est pays très rural.
La ville de Casablanca a formé un PPP en 1997 avec un consortium formé d’entreprises locales et internationales, lequel a investi $250 millions dans le réseau d’aqueduc entre 1997 et 2002. La performance du réseau s’est nettement améliorée : diminution des fuites, augmentation du nombre de foyers connectés, amélioration de la qualité de l’eau, amélioration du service à la clientèle. La compagnie a réduit le nombre d’employés, mais ceux qui restent ont été mieux formés et ont vu leur salaire augmenter.
En Guinée, avant que les aqueducs de certaines régions ne soient privatisées en 1989, presque 80% des gens de ces régions n’avaient pas accès à de l’eau par aqueduc. En 2001, cette proportion avait diminué à 30%. Ces gens devaient marcher de longues heures pour accéder à un point d’eau et/ou achetaient d’un vendeur d’eau ambulant informel à des prix exorbitants. Sous l’égide du gouvernement, la société d’aqueduc sous-investissait et exigeait un prix minime pour l’eau, ce qui constituait en fait une subvention pour les privilégiés qui avaient accès au réseau (les plus riches). La qualité de l’eau était mauvaise, les interruption de service nombreuses, tout comme les fuites. Pour faire du rattrapage au niveau des investissements, bien sûr que les prix ont dû être augmentés substantiellement, mais pour ces pauvres qui ont maintenant accès au réseau, c’est une aubaine, puisqu’ils peuvent maintenant travailler au lieu de transporter de l’eau toute la journée.
À Buenos Aires, avant la privatisation en 1993, l’état du réseau était lamentable en raison du sous-investissement. La moitié des gens vivant dans les quartiers pauvres n’avaient pas accès au réseau. Les fuites représentaient 45% de la production, 99% des foyers n’avaient pas de compteurs et 80% des factures n’étaient pas payées. Suite à la privatisation, la production a augmenté de 38% et 3 millions de personnes ont obtenu l’accès au réseau grâce à d’importants investissements. Le prix de l’eau est devenu 10 fois moins cher que celui des vendeurs informels. En 1998, le prix de l’eau était 17% plus bas qu’en 1992 et la qualité s’est améliorée, le nombre d’enfants décédés en raison de causes reliées à l’eau a diminué. Le nombre d’employés est passé de 8000 à 4000 surtout par attrition. Puis est survenue la crise économique d’Argentine, les entreprises ont souffert de la dévaluation de la devise puisque leurs revenus étaient en pesos et certains de leur coûts en dollars. Elles ont voulu hausser les tarifs pour compenser, ce que le gouvernement a refusé, poussant l’entreprise vers la faillite. Pour cette raison, Buenos Aires est considérée comme un exemple d’échec de la privatisation des aqueducs, alors que les résultats ont été plutôt encourageants, malgré la corruption, l’interférence politique et la mauvaise exécution du processus de privatisation lui-même.
À Yerevan en Arménie, après la privatisation, le service d’aqueduc a augmenté en moyenne de 7 heures par jour à 18.5 heures et plus de 70% des gens ont accès à l’eau 24h/24. La qualité s’est aussi améliorée alors que la consommation d’énergie de l’entreprise a diminué de 48%. Les fuites d’eau ont diminué de 35%.
Des résultats encourageants ont aussi été observés au Rwanda et au Mozambique suite à l’implication d’entreprises privées.
Aux États-Unis, les privatisations d’aqueducs mènent en moyenne à des économies de coûts de 20% à 50%. À Jersey City, le service d’aqueduc était médiocre. L’eau goûtait mauvais et échouait parfois les tests de potabilité. Les fonctionnaires en charge affirmaient qu’ils ne pouvaient rien faire sauf si les tarifs étaient augmentés pour investir dans le réseau. C’est alors que le maire a décidé de sous-traiter le service d’aqueduc à des entreprises privées. En quelques mois, l’entreprise qui a remporté le contrat a réparé le réseau. L’eau de Jersey City rencontre maintenant les standards les plus élevés et la municipalité économise $35 million en dépenses annuellement.
Atlanta est un exemple de privatisation qui a mal tourné aux États-Unis. Alors que le réseau était médiocre, la ville a signé un contrat de 20 ans avec United Water en 1999 concernant l’opération et l’entretien du réseau, mais pas pour les investissements en infrastructures. La firme a d’abord hérité d’une file d’attente de plusieurs milliers de plaintes de service, dont certaines dataient de 3 ans. Puis, il s’est avéré que la ville avait largement sous-estimé les dépenses en entretien du réseau, dont certaines portions datent de 1875. Néanmoins, les fuites ont été réduites de 28% en quelques années. En 2001, le maire d’Atlanta déclarait qu’il était très satisfait de la privatisation.
Puis, en 2002, la nouvelle mairesse Franklin, qui avait jadis travaillé pour un concurrent de United Water, s’est mise sur le cas de l’entreprise. Face à ses critiques, United Water a répondu que la ville n’avait pas rempli ses obligations contractuelles concernant ses investissements en infrastructures et avait plutôt utilisé les économies de coûts générées par la privatisation pour boucler son budget. Puis, suite aux nombreuses disputes, le contrat fut résilié. La ville a repris le contrôle des aqueducs, embauché plus d’employés et augmenté significativement les tarifs.
En 1989, Margaret Thatcher a vendu 10 réseaux d’aqueducs en les inscrivant à la bourse en Angleterre. Ces réseaux perdaient plus du quart de leur eau en fuites et presque le tiers des zones couvertes ne rencontraient pas les standards de potabilité. Suite à la privatisation, les entreprises ont investi 3.5 milliards de livres par année dans les infrastructures. La qualité de l’eau s’est grandement amélioré et atteint maintenant les standards européens. Les tarifs ont augmenté de 21% en dollars constants entre 1989 et 2005, mais ils avaient augmenté de 22% durant les 7 années précédant la privatisation. Une chose qui a changé est l’imputabilité des entreprises d’aqueduc, qui doivent dorénavant payer des amendes lorsqu’elles endommagent l’environnement ou lorsqu’il y a des pannes, ce qui n’était pas le cas lorsque les réseaux étaient publics. Les aqueducs Anglais livrent maintenant une meilleure performance que ceux d’Écosse et d’Irlande qui demeurent sous l’égide des gouvernements, et ce à moindre coût.
Au Canada, les exemples sont plus limités, mais le meilleur est sans doute Moncton, au Nouveau-Brunswick. Dans les années 1990, la ville souffrait d’une qualité d’eau médiocre. Entre les périodes où l’eau devait être bouillie, la ville utilisait des camions citerne pour transporter de l’eau d’une autre ville. En 1998, la ville a signé une entente de privatisation avec USF Canada. L’entreprise a construit une nouvelle usine de filtration pour $23 millions, soit $8 à $10 millions de moins que ce qui avait été estimé par l’aqueduc public. Depuis, Moncton économise $14 à $17 million par année en coûts de capital et d’opération. L’eau rencontre maintenant les standards de potabilité.
Malheureusement, au Canada, le mouvement anti-privatisation (mené par les syndicats) est très puissant et a réussi à effrayer le public de sorte que très peu de privatisations ont été envisagées. Pourtant, à Montréal, la ville perd presque la moitié de son eau par les fuites et les coûts d’opération y sont exorbitants. Mais personne ne se scandalise de l’échec du public…
Conclusion
Même si nous n’entendons parler que des exemples de privatisation qui auraient supposément mal fonctionné, il y a pourtant beaucoup plus d’exemples de privatisation qui ont bien tourné. Des projets de privatisation financés par la Banque Mondiale, seulement 4% ont été un échec menant à la résiliation du contrat. Ceci dit, les exemples de Cochabamba, Manille et Djakarta nous indiquent les voies à ne pas suivre et les erreurs à éviter. Par ailleurs, il semblerait que l’implication des firmes Suez et Bechtel mène souvent à de mauvais résultats (celles-ci sont spécialistes de la connivence politique).
Le problème le plus fréquent n’est pas que les tarifs d’eau sont trop élevés, mais bien qu’ils ne le sont pas assez lorsque l’aqueduc est public, ce qui incite au gaspillage et au sous-investissement. Ce qui importe n’est pas d’avoir un tarif excessivement bas, mais plutôt d’investir pour étendre le réseau au plus grand nombre de foyers possible dans un contexte institutionnel favorable.
Voici les plus grandes erreurs à éviter lors d’une privatisation d’aqueduc :
- Processus mené trop rapidement, ne permettant pas d’obtenir le meilleur arrangement.
- Pas d’appel d’offre concurrentiel.
- Recherche du tarif le plus bas, même si le plan d’affaires est irréalisable.
- Ingérence politique.
- Surévaluation ou mauvaise évaluation de l’état du réseau (souvent par manque de données en provenance des aqueducs publics et de leurs syndiqués; les privatisations font d’ailleurs suite à une période de sous-investissements chroniques après lesquelles des vices cachés surviennent immanquablement).
- Financer avec de la dette en devises étrangères ou ne pas lier les tarifs au taux de change.
- Laisser certaines infrastructures critiques nécessitant des investissements indispensables pour la viabilité du réseau entre les mains du gouvernement.
- Limites sur la propriété étrangère (nuisant à l’accès au capital et agissant comme une subvention aux entreprises locales manquant d’expertise dans le domaine et souvent de connivence avec l’État).
- Exiger des investissements trop élevés pour la capacité de payer des consommateurs locaux.
- Subventionner la consommation d’eau des foyers les plus pauvres en forçant les tarifs à la baisse plutôt qu’en octroyant des coupons.
- Grilles tarifaires trop complexes et/ou inadéquates.
La simple privatisation des aqueducs n’assurera pas un « miracle économique ». C’est une condition nécessaire, mais pas suffisante à l’amélioration des choses. Pour que cela fonctionne, il faut aussi un contexte institutionnel qui favorise la concurrence et la libre-entreprise ; une économie ouverte et dynamique. Autrement, on ne fera que convertir une rente publique en rente privée.
Quant aux activistes anti-privatisation, ils ont bien peu d’égard pour les pauvres gens qu’ils prétendent défendre, qu’ils utilisent dans leur lutte contre le capitalisme. Ils font davantage appel à l’émotion qu’à la raison. Ils appliquent un double standard : lorsque le secteur public présente une performance médiocre, laissant des millions de gens sans accès l’eau, pas un mot, mais aussitôt qu’une entreprise privée commet la moindre faute, c’est l’hécatombe. Finalement, il est évident que les fonctionnaires et leurs syndicats militent fortement contre la privatisation des aqueducs.
Une chose est sûre, ce débat mériterait que l’on y consacre moins d’émotion et davantage de raison.
Pour plus de détails sur le sujet, voici deux textes fort intéressants :
“Water-For-Sale : How Business and the Market Can Resolve the Worlds Water Crisis”, par Fredrik Segerfeldt, un auteur et commentateur Suédois qui collabore avec plusieurs « think-tanks » libéraux. Vous trouverez une version électronique de son livre ici.
Autre étude de cas sur les privatisations d’aqueducs:
http://www.law-lib.utoronto.ca/investing/reports/rp39.pdf
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