Tiens, on sonne à la porte. Qui cela peut-il être, à cette heure ? Oh, mais on dirait un gros monstre mou qui – ah mais pardon excusez moi non je ne veux pas que vous rentriez – oh mais dites ne poussez pas mais enfin c’est intolérable, que faites-vous dans mon frigo ? Vous voulez que je vous aide en plus ? Comment ça « oui et plus vite que ça » !?
C’est toujours au moment et à l’endroit où on s’y attend le moins que l’État débarque et commence son entreprise de sape. Il fourre ses gros doigts boudinés dans vos affaires, les « ausculte » à grands coups de bistouri approximatif, et lorsqu’il lui en prend l’envie, éparpille vos entrailles aux quatre vents histoire d’être bien sûr que tout est à sa place comme prévu. Et bien sûr, c’est dans le respect des droits de l’Homme et du Citoyen, avec de vrais bout d’Égalité et de Fraternité dedans, assortis d’une belle amende ou de belles poursuites si l’envie lui en prend.
L’année passée, avec l’arrivée d’un gouvernement aussi bigarré que clownesque, on avait découvert le jeune Guillaume Garot, nommé délégué de classe pardon ministre délégué aux trucs qui se mangent, qui s’était immédiatement proposé de lutter contre le gaspillage des Français en les marquant à la culotte ou au sac poubelle, ce qui — il faut bien le dire — nous avait beaucoup fait rire. Eh oui, l’État peut s’occuper de vos déchets et vous blâmer d’en avoir trop fait, peser vos trognons de pommes et évaluer votre vilaine charge écologique. L’État peut tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
C’est donc sans surprise qu’on a appris, au détour du week-end dernier, que quelques-uns de ses zélés frotte-manches entendaient s’occuper d’abolir les cheminées en France. Avec Garot, l’État était dans votre frigo ; il se dirige à présent dans votre salon et commence à émettre de bruyants jugements, penché sur votre âtre, sur la qualité de l’air que vous respirez chez vous.
C’est un certain Martial Saddier qui ouvre le bal. Vous ne le connaissez pas, et c’est parfaitement normal puisqu’il ne gagne absolument rien à être connu (à ce titre, c’est presque dommage qu’il soit mêlé à cette sordide histoire de cheminée, il méritait largement un anonymat qu’on lui aurait souhaité aussi épais qu’une bonne camisole). Ce frétillant représentant de ce parti jadis connu sous le nom d’UMP s’est spécialisé dans l’écologisme de combat et talonne EELV dans toutes les propositions les plus débiles et les plus intrusives dès qu’il s’agit d’air pur, de petits oiseaux et de dépenser l’argent du contribuable en vaporeuses conneries écocitoyennes. Président du Conseil National de l’Air (on s’étonne que ça ne s’appelle pas plutôt Haute Autorité du Vent, tant qu’à jouer du flutiau), il rivalise donc d’inventivité pour à la fois faire parler de lui et rapprocher tant qu’il peut l’UMP des collectivistes verts. Pour justifier l’interdiction des cheminées, il s’explique ainsi, sans honte :
« Cette décision est inéluctable si l’on veut assainir l’air que l’on respire. À l’échelle d’une année, rien qu’en Île-de-France, les cheminées à foyer ouvert sont responsables de 28% des émissions de particules et ce taux monte à 50% en plein hiver. Dans nos vallées de Savoie, la moitié des émissions de particules fines sont liées toute l’année aux rejets des cheminées et aux feux de débroussaillement. »
Notez le « inéluctable » : vous pouvez bien faire et penser ce que vous voulez, votre cheminée sera murée. C’est dit.
Quand je pense que certains s’étonnent ensuite que je sois obligé de porter un masque à gaz lorsque je me balade dans les villes et les campagnes françaises ! Mais réfléchissez, que diable ! Comme l’indique notre brave Martial, une randonnée champêtre en Savoie l’hiver venu, c’est comme trotter place de l’Opéra quand un flic y « fait » la circulation et déclenche un embouteillage monstrueux : on enfourne de grosses poignées grasses et glaireuses de particules fines bien cancérigènes ! C’est une évidence ! On ne compte d’ailleurs plus le nombre de marmottes ou de hamsters géants retrouvés morts en pleine Savoie suite à une embolie pulmonaire foudroyante à cause de ces pestilences fumeuses !
Alors pour éviter que l’homme moderne ne bouscule ses petites bronches dans les âcres vapeurs modernes, le député propose d’interdire les cheminées ou plus pragmatiquement qu’on interdise d’y brûler du bois. Enfin, « pragmatiquement », c’est vite dit parce que justement, ce n’est pas très pragmatique, tout ça. Ainsi, Hélène Gassin, vice-présidente EELV du Conseil Régional d’Île-de-France, normalement opposée à Saddier, de l’UMP, aime bien cette proposition mais ne peut s’empêcher de noter que, je cite :
« Il n’est pas question de créer une police des feux de cheminée, mais d’alerter tous ceux qui utilisent ce moyen de chauffage sans connaître son impact. Mais, prévient-elle, il ne faudrait pas se focaliser sur la chasse aux foyers ouverts et laisser les particules de bois cacher la forêt du diesel. »
Voili voilà, les choses sont claires : une fois qu’on se sera occupé du salon (ne rangez pas les apéricubes, l’État n’a pas fini son snack), on pourra passer au garage pour démonter la voiture avant, je suppose, de repeindre la chambre des enfants dans des couleurs paritaires et non-sexistes (par exemple).
Que la cheminée soit un chauffage d’appoint non négligeable pour des cohortes de familles modestes, que le bois constitue une méthode encore abordable pour ne pas se peler les miches et exploser sa facture EDF, ça ne semble pas trop toucher le brave député ni la gentille vice-présidente. Ils s’en fichent complètement et d’autant plus que la République, très bonne fille et grâce à des émoluments grassouillets s’est largement occupée d’eux, de leur chauffage et de leur logement. Pour eux comme pour tout un cortège de petits soldats de la Pureté Clinique de l’Air, il faudra absolument trouver un moyen pour mettre fin à ces pratiques ancestrales catastrophiques !
Il faut dire qu’ils sont pour cela lourdement épaulés par la myriade d’associations et l’empilement administratif depuis les municipalités jusqu’au niveau européen où chaque strate se doit de montrer qu’il fait les plus ultimes efforts pour nettoyer l’air, l’eau, la nourriture, et la boisson, débarrasser le monde de ses microbes, de son gras, de son sucre, et la vie de tout son sel. Et vas-y qu’on agite les rodomontades de la Commission Européenne qui tance vertement la France par le truchement de la pauvre Delphine Batho dont la tête à claque ne permet pas d’excuser complètement ses bafouillages sur le sujet. Et vas-y que je te cite des études OMS où l’on explique que 42.000 personnes meurent chaque année à cause des petites particules, sans mesurer l’énormité du chiffre qui cache un gros fourre-tout statistique bien pratique pour effaroucher l’électeur.
L’État a terminé d’asperger de plâtre la cheminée, maintenant complètement obturée. Le frigo a été visité pour s’assurer qu’aucun gâchis n’y pourra prendre place et que les dates de péremptions ne sont pas dépassées (sinon ? poubelle !). À présent, il lui reste à s’attaquer à un autre gros morceau : les accidents de la vie courante. Le malheureux coup de tondeuse à gazon sur la nuque, le vol plané depuis une échelle, l’électrocution citoyenne dans un bain-mousse, la brûlure intégrale dessus/dessous à l’huile bouillante de friteuse explosive, tout ça, il va s’en occuper aussi. Il faudra donc qu’il fouille aussi dans vos placards, dans vos tiroirs, et commente et régule au jour le jour vos habitudes, vos comportements et vos sales petites manies.
Cela prendra du temps, mais croyez-moi : il y travaille déjà.