Attention, c'est du Habermas, probablement le paragraphe le plus pointu du bouquin (qui reste quand même accessible). Mais ça vaut le détour, je rejoins pleinement ses analyses. Spéciale dédicace à mes amis politiques :
"Dans la mesure où la politique fait dépendre toute son action de son synchronisme avec une humeur ambiante que, d'élection en élection, elle escorte, convoiteuse et servile, le processus démocratique perd tout son sens. Une élection démocratique n'est pas là pour simplement permettre la projection de l'éventail spontané des opinions ; elle doit restituer ce qui résulte du processus public au cours duquel l'opinion s'est formée. Les voix données dans l'isoloir ne restituent le poids institutionnel de la codétermination démocratique que si elles sont corrélées aux opinions articulées publiquement et formées dans un échange communicationnel de prises de position, d'informations et de raisons en pertinence avec les questions du débat."
Jurgen Habermas, La constitution de l'Europe, Gallimard, 2012.
En clair, la démocratie d'opinion c'est pas bien, c'est trop facile. Suivre des résultats de sondages pour déterminer la politique à mener ne grandit pas le personnel politique. S'il se laisse abaisser à cela, c'est bien le signe qu'il est trop attaché à sa réélection qu'à la vraie poursuite de l'intérêt général, et la prise de risque qui va avec. À ce titre, le rôle des organisations politiques est bien de participer à la formation de l'opinion ( ce qui implique d'apporter tous les éléments nécessaires à la compréhension du débat) et non de la suivre bêtement. Dans la dernière phrase de l'extrait cité, il explique que la légitimité du politique aujourd'hui ne peut plus tenir à l'accumulation des bulletins dans l'urne. les formations politiques ne doivent pas se concentrer sur la compétition politique, car cela ne provoque que le désintérêt et l'indifférence. Elles doivent s'attacher à ce que les idées qu'elles portent provoquent un véritable débat argumenté dans la population.
Comme le suggère le titre de son ouvrage, Habermas s'exprime ici sur le sujet de la construction européenne, et attaque les partis politique (allemand, mais le parallèle avec la France est tout a fait faisable) qu'il juge inactifs lorsqu'il s'agit de faire comprendre les enjeux communautaires. Il les accuse de ne pas parvenir à se défaire de l'idée que la politique doit s'inscrire presque exclusivement dans le cadre de l'Etat-Nation. Et également de colporter l'idée que le "machin bruxellois" est la cause de nos malheurs, sans préciser que ce sont souvent les chefs d'Etats ou les Ministres des 27 Etats membres (i.e. nos représentants démocratiquement élus) qui sont force d'impulsion. Ces deux éléments expliquent évidemment l'hiver démocratique (cf. Guy Hermet) que traverse l'Union européenne.
Il faudrait en effet bannir la "pragmatique du pouvoir" et renouer avec le courage politique, pour proposer un nouvel horizon institutionnel pour l'Europe car le statu quo n'est pas une solution viable : le Conseil est trop influent alors qu'il n'est pas l'institution qui représente les peuples, la Commission n'est pas élue démocratiquement ce qui la déconnecte des européens, et quant au Parlement - qui devrait logiquement être l'institution européenne préférée des citoyens - ses positions et pouvoirs sont trop souvent mal compris, expliquant l'abstention pathologique qui touche les élections européennes.>>Laisser votre commentaire !